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maladroit. Les officiers fédéraux auraient regardé comme une injure personnelle l’ordre n° 28, s’ils lui avaient attribué la signification qui excita chez leurs adversaires une légitime indignation, et le public des états du nord répliqua à ceux-ci en traitant leur interprétation de pure calomnie ; mais le gouvernement de Washington, loin d’affaiblir son autorité morale, l’aurait accrue, même parmi ses ennemis, s’il avait prévenu toute polémique sur un sujet qui ne supporte pas l’équivoque, en révoquant les pouvoirs qu’il avait confiés à un homme aussi peu capable de peser la valeur de ses paroles.

Il ne le fit pas, et les difficultés qu’il rencontra à la Nouvelle-Orléans augmentèrent de jour en jour. Comment aurait-on pu empêcher cette population profondément hostile de faire parvenir aux armées confédérées des encouragemens de toute sorte et des renseignemens précieux sur les préparatifs militaires qui se faisaient sous ses yeux ? Une grande vigilance était nécessaire ; la violence était une faiblesse inutile. Le maire fut destitué, c’était inévitable. Il fut emprisonné, ainsi qu’un des principaux habitans de la ville, M. Pierre Soulé. Serviteurs passionnés de la confédération, il est possible qu’ils aient joué un double jeu coupable après avoir accepté de fait le rétablissement de l’autorité fédérale : les lois de la guerre légitimaient leur éloignement, leur emprisonnement n’a jamais été justifié. Butler alla plus loin ; il eut le triste courage de relever pour une fois l’échafaud politique, ce funeste aliment des discordes civiles. La mort de Munford fait seule tache sur la page la plus belle peut-être de l’histoire des États-Unis, celle où il est écrit que ni après la victoire, ni dans le cours même de cette terrible guerre, tandis que les citoyens donnaient leur vie par milliers pour défendre l’Union, aucun autre crime politique, pour nous servir de l’expression consacrée, n’a été expié par le sang du coupable. Munford était cet homme qui, le 27 avril, avait abattu le drapeau fédéral élevé, par quelques matelots du Pensacola, sur l’hôtel de la monnaie avant que la Nouvelle-Orléans eût été régulièrement occupée. Cet acte était insensé, car il pouvait attifer sur une ville innocente tout le feu de l’escadre fédérale, et, si un des marins de Farragut avait aperçu Munford traînant dans la boue le pavillon national, il aurait bien fait de le tuer sur place. Toutefois c’était un acte d’hostilité et non de trahison. Aussi ne l’avait-on pas d’abord recherché pour ce fait ; mais, comme il était devenu le chef de la partie la plus turbulente de la population et l’instigateur de toutes les avanies faites aux fédéraux, on le poursuivit au bout de six semaines sous ce prétexte. Jugé et condamné par un conseil de guerre, il fut pendu le 7 juin et devint ainsi un martyr aux yeux de tous les partisans du sud.