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l’Océan jusqu’aux bords de l’Indus, on retrouve la coutume du pignoris capio.

Voici maintenant un mode de procédure bien plus étrange encore et qu’on rencontre à la fois chez les anciens Celtes irlandais et dans l’Inde moderne. César nous dit que, dans la Gaule, celui qui n’obéissait pas au jugement des druides était empêché de prendre part aux sacrifices, ce qui était considéré comme la plus sévère des peines. En Irlande, quand on avait à faire valoir une créance contre un débiteur d’un rang élevé, le Senchus Mor dit qu’il faut « jeûner contre lui, » et il ajoute : « Celui qui ne donne pas satisfaction à celui qui jeûne méconnaît toutes les obligations, et celui qui ne regarde à rien ne sera payé par personne, ni par Dieu, ni par les hommes. » La coutume se retrouve identique dans l’Inde sous le nom de dharna, qui signifie saisie, détention. Les auteurs anglais, qui l’appellent sitting dharna, la décrivent dans les termes suivans. Quand un brahmine veut obliger un débiteur récalcitrant à s’acquitter envers lui, il va s’asseoir à sa porte, tenant à la main du poison ou un poignard et menaçant de se tuer si on lui fait violence. Il jeûne, et il empêche ainsi le débiteur de sortir de chez lui : celui-ci est tenu de jeûner aussi. Bientôt il est forcé de céder, car, s’il laissait mourir son créancier de faim ou s’il le poussait à se tuer en voulant passer outre, il se rendrait coupable d’un crime inexpiable. Le code pénal anglo-indien ayant défendu la pratique du dharna, elle est devenue plus rare, mais elle est encore en vigueur dans les états indépendans de l’Inde. Ce sont surtout les soldats qui y ont recours pour obtenir le paiement de leur solde arriérée. Gaius dit également que le pignoris capio était resté en usage dans deux cas seulement, dont l’un est précisément le défaut de paiement de la solde militaire. Cette concordance n’est-elle pas remarquable ? En Perse, celui qui veut obtenir le paiement de sa créance par le jeûne commence par semer un peu d’orge à la porte de son débiteur, puis il s’assied au milieu de ce semis ; c’est dire qu’il restera sans nourriture jusqu’à ce qu’il soit payé ou jusqu’à ce que le grain lève et lui donne de quoi se nourrir. Ces coutumes extraordinaires remontent évidemment au temps où le particulier ne pouvait invoquer l’intervention de l’autorité pour lui garantir ses droits. En forçant le débiteur de mauvaise foi à commettre un crime, il appelait sur lui le mépris des hommes et la vengeance du ciel.

La constitution de la famille et de la société chez les Celtes irlandais ressemble aussi à celle de l’Inde. En réunissant les traits épars dans les Brehon Laws, sir H. Maine est parvenu à tracer un tableau assez complet de l’organisation sociale de l’Irlande à l’époque où ces lois ont été rédigées. La population était divisée en clans, en