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n’existe donc pas encore ; c’est l’hérédité collective du clan qui est en vigueur. Le gavelkind irlandais est, on le voit, très différent du gavelkind en usage dans le comté anglais de Kent. Celui-ci prescrit seulement le partage de la succession en parts égales entre les enfans, comme le fait la loi française. En résumé, si l’on veut se faire une idée de l’organisation agraire prédominante parmi les Celtes irlandais à l’époque des Brehon Laws, il faut en chercher le type non point dans les communautés de village telles qu’elles existent encore en Russie ou à Java, mais plutôt dans le régime des communautés de famille telles qu’on les trouve chez les paysans français au moyen âge ou chez les Serbes aujourd’hui. Le sept irlandais est presque complètement semblable à la zadruga slave : la communauté primitive a fait place à la propriété familiale de la gens. Il y a pourtant une différence très grande à noter. En Irlande, le chef du sept a déjà acquis l’autorité et les privilèges du seigneur féodal, tandis qu’en Serbie l’aristocratie ne s’est pas développée jusqu’à nos jours et l’égalité démocratique des temps primitifs s’est maintenue.


II

Comment l’inégalité des biens et la domination des grands sur les simples cultivateurs s’est-elle établie, en dehors de toute conquête, parmi des hommes de même race, originairement égaux et jouissant d’institutions ayant pour effet de maintenir l’égalité, c’est là une question d’histoire sociale d’une portée générale, et sur laquelle les faits recueillis par sir H. Maine dans les Brehon Laws tracts jettent un jour nouveau. Cette profonde transformation s’est accomplie en Irlande comme en Germanie et dans le reste de l’Europe. A l’origine, le chef du clan n’est que le premier parmi des hommes libres et propriétaires, ses égaux au fond, et qui souvent le nomment par voie d’élection. Quand l’œuvre de la féodalisation est accomplie, ce chef est devenu un seigneur, propriétaire en fait ou en théorie de tout le sol, jadis partagé entre les membres de la tribu, et les cultivateurs ne sont plus que des manans ou des serfs tenus à des corvées et à des prestations en nature pour conserver la jouissance des champs dont ils étaient auparavant les maîtres indépendans. Cette transformation, d’où sont sorties l’aristocratie terrienne et la royauté politique, s’est accomplie lentement, obscurément, par une série de changemens insensibles dont les détails ont varié dans les différens pays, mais dont les grandes lignes et les résultats généraux ont été partout les mêmes. Dans les Brehon Laws tracts) qui renferment les souvenirs d’institutions