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avec un zèle que rien ne lassait M. Becq de Fouquières conduisait cette enquête, le neveu du poète, M. Gabriel de Chénier, se décidait enfin à nous donner ce que la famille nous devait depuis longtemps, la publication intégrale, authentique des manuscrits, plusieurs fois consultés par la critique savante, jamais épuisés jusqu’à ce jour. Cette édition, à certains égards définitive, sinon pour la correction du texte, au moins pour la restitution totale du poétique trésor, a été complétée par une notice où se trouvent rassemblés, sous une forme simple et familière, tous les souvenirs et les traditions de la famille.

Le moment semble bien choisi pour tirer parti de ces publications diverses, intéressantes à tant de titres. D’après cet ensemble de renseignemens, nous croyons être en mesure de nous prononcer en connaissance de cause sur les véritables motifs, incomplètement connus ou défigurés jusqu’à ce jour, de l’arrestation et de la condamnation d’André Chénier. C’est une page héroïque et douloureuse à restituer à l’honneur des lettres françaises et aussi à l’honneur de ce grand parti d’honnêtes gens qui se perpétue à travers les vicissitudes de notre histoire, et qui, tout dévoué à la juste cause de la société moderne, n’a jamais cependant transigé ni avec les crimes qui ont déshonoré son berceau, ni avec les passions qui ont plus d’une fois troublé la conscience publique en égarant le jugement de l’histoire et lui inspirant des indulgences aveugles ou complices. Avons-nous besoin d’ajouter que, dans cet exposé sincère, nous nous abstiendrons de prendre parti dans la querelle qui se poursuit encore, à l’heure qu’il est, entre l’auteur des éditions critiques et le nouvel éditeur des papiers de famille ? Il y a eu des deux côtés des froissemens de diverse nature, des susceptibilités plus ou moins graves, dans le détail desquels nous n’avons pas à entrer ; il en résulte de part et d’autre un ton de polémique personnelle qui se mêle à ce vaste ensemble d’informations et gâte le plaisir désintéressé des amis du poète. Nous mettrons à profit, pour nous-mêmes et pour le public, les précieux documens réunis par M. Becq de Fouquières et les commentaires biographiques si complets, si lumineux qu’il y a joints, aussi bien que les témoignages que nous apporte le dernier représentant de la famille Chénier. Tout en regrettant que ces deux intelligences et ces deux dévoûmens ne se soient pas associés dans une œuvre commune qui eût été définitive pour la plus grande gloire d’André, nous prendrons ici et là tout ce qui nous paraîtra devoir éclairer notre sujet, uniquement soucieux de dégager la vérité et de remettre en lumière la noble figure du poète pendant les dernières années de sa courageuse vie.