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lumière. Pour le moment, et pour bien fixer à cette heure de 1791 l’attitude du poète publiciste, rappelons quelques-uns des plus beaux vers par lesquels se terminait la pièce sur le Serment du Jeu de Paume, et qui, après les strophes enthousiastes, contenait des conseils sévères au peuple et de mâles exhortations à la justice :

O peuple deux fois né ! peuple vieux et nouveau !
Tronc rajeuni par les années !
………….
Hommes, d’un homme libre écoutez donc la voix !
Ne craignez plus que vous. Magistrats, peuples, rois,
Citoyens, tous tant que nous sommes,
Tout mortel dans son cœur cache, même à ses yeux,
L’ambition…………
Mais au peuple surtout sauvez l’abus amer
De sa subite indépendance.
Contenez dans son lit cette orageuse mer.
…………..
Ah ! ne le laissez pas, dans la sanglante rage
D’un ressentiment inhumain,
Souiller sa cause et votre ouvrage.
Ah ! ne le laissez pas, sans conseil et sans frein,
Armant, pour soutenir ses droits si légitimes,
La torche incendiaire et le fer assassin,
Venger la raison par des crimes.

Et se retournant vers le peuple, l’interpellant, l’implorant, avec quelle virile sympathie il le conjure de se défier de ceux qui le dépravent par leur feinte amitié !

Peuple ! ne croyons pas que tout nous soit permis.
Craignez vos courtisans avides,
O peuple souverain ! à votre oreille admis,
Cent orateurs bourreaux se nomment vos amis.
Ils soufflent des vœux homicides.
Aux pieds de votre orgueil prostituant les droits,
Vos passions pour eux deviennent lois.
La pensée est livrée à leurs lâches tortures.
Partout cherchant des trahisons,
A vos soupçons jaloux, aux haines, aux parjures,
Ils vont forgeant d’exécrables pâtures.
Leurs feuilles noires de poisons
Sont autant de gibets affamés de carnage.

Voilà comment dès 1791 André Chénier se porte l’adversaire résolu de la terreur. C’est là sa gloire d’homme et de citoyen à mettre de pair avec sa gloire de poète. On nous dira que c’est un anachronisme, que la terreur est bien éloignée encore du jour où André écrivait l’Avis au peuple français et le Jeu de Paume, que ce sont là des rapprochemens factices ou des contrastes artificiels ; mais qui