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entraîné ses funestes amis aussitôt que le danger commença pour André, trop tard, hélas ! pour sa gloire, pour son honneur même, compromis dans des complicités de doctrine et d’amitié avec des personnages tels que Collot-d’Herbois.

Vaniteux et amoureux de popularité, ce fut là son crime. Tel il se montra dans sa discussion publique avec André. M. Becq de Fouquières a repris avec les développemens les plus intéressans et toutes les preuves à l’appui l’histoire de cette querelle qui s’envenima si vite et dont le résultat déplorable fut d’apprendre à la partie la plus remuante du peuple et à ses chefs qu’il y avait un Chénier aîné, modéré et constitutionnel, qui osait penser que les jacobins perdaient la France, en un mot un feuillant digne de tous les mépris en attendant mieux. Malgré tout l’éclat de ses premiers écrits politiques, malgré la verve et le courage de bon sens qu’il avait montrés à la tribune des clubs modérés, ce je ne sais quel Chénier, comme l’appelait Camille Desmoulins, n’était pas encore arrivé, en dehors de son parti, à cette notoriété qui, dans les temps calmes, donne l’influence et le pouvoir, et dans les temps troublés peut donner la mort. Il paraît cependant qu’il avait fait une vive impression sur ceux qui l’avaient entendu au club des feuillans, dans cette assemblée de dissidens qui s’étaient séparés avec éclat des jacobins et qui étaient devenus l’objet de toutes leurs rancunes. Charles Lacretelle, un demi-siècle après, se rappelait avec admiration « ce talent plein de force et d’éclat, échauffé par une âme intrépide… Ses traits fortement prononcés, sa taille athlétique sans être haute, son teint basané, ses yeux ardens, fortifiaient, illuminaient sa parole… Chacun de nous regrettait qu’un pareil orateur ne fût pas encore appelé à la tribune politique. Lui seul eût pu disputer ou ravir la palme de l’éloquence à Vergniaud. » Il faut cependant n’accepter qu’avec réserve ces témoignages produits tardivement, sincères sans doute, mais peut-être modifiés, transformés à l’insu même du témoin par une sotte de mirage rétrospectif, quand la gloire est venue dans l’intervalle changer la proportion des figures dans le lointain des souvenirs.

Quoi qu’il en soit, la lutte était inévitable, un jour ou l’autre, entre les feuillans et les jacobins ; mais ce fut une véritable fatalité que les deux frères fussent les deux premiers antagonistes engagés dans le conflit. Ce n’est pas André qui doit en porter la responsabilité dans l’histoire. Son article sur la Cause des désordres qui troublent la France et arrêtent l’établissement de la liberté, publié le 26 février 1792 dans le dix-neuvième supplément du Journal de Paris, n’effleurait même pas l’inquiète personnalité de Marie-Joseph. C’est une admirable peinture de l’organisation et de l’influence fatale de cette société, qui ne tendait à rien moins qu’à