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prendre bien des précautions en lui écrivant. « En ouvrant votre chère lettre du 18, je me suis aperçu que le cachet n’était pas intact, et que probablement je n’étais pas le premier à l’ouvrir… Je vous conjure, ajoutait-il, d’avoir bien soin de vous, et s’il y avait à craindre que la tranquillité de votre vieillesse fût troublée, de sortir de Paris et venir ici. Je vous recommande aussi tous les écrits et ouvrages et papiers que vous savez. S’ils se perdaient, tous les plaisirs, les études, les amusemens d’une vie entière seraient perdus. » Mais ce régime de défiance et ce séjour en province n’allaient guère à cette âme ardente, toute pleine encore des frémissemens de la lutte et impatiente de se sentir inutile. Il revint au mois d’octobre à Paris, où il trouva une lettre de Wieland, qui témoignait d’une grande sollicitude pour le poète et le publiciste. Il répondit par un intermédiaire au célèbre poète allemand, dont il était fier d’avoir mérité les sympathies. Sa lettre est curieuse à plus d’un titre. « M. Wieland demande ce que je fais dans la révolution ? Rien, grâce au ciel, désormais absolument rien… Je suis bien déterminé à me tenir désormais à l’écart, me bornant dans ma solitude à faire pour la liberté, la tranquillité et le bonheur de la république, des vœux qui, à vrai dire, surpassent de beaucoup mes espérances… Il demande si je suis encore en vie. Oui. Je pourrais ajouter que n’ayant jamais fait de mal à qui que ce soit, je ne dois avoir couru aucun risque ni avoir eu rien à craindre ; mais M. Wieland, qui connaît les hommes et les révolutions, me répondra sans doute que ce n’est pas une raison[1]. » Ce n’était pas une raison en effet, et dans ce trait comme en mille autres que l’on pourrait rassembler dans ses notes perce le pressentiment du sort qui l’attend.

Il semble d’ailleurs que son courage aille de lui-même au-devant de ce péril, qu’il devine autour de lui, devant lui. L’éclatante occasion du procès de Louis XVI vint s’offrir à sa conscience, il n’y résista pas. Quel homme de cœur oserait ne pas applaudir à cet élan qui le porta au secours du roi ? Ce procès lui semblait inique d’après la constitution qui déclarait l’inviolabilité royale, et deux fois plus inique encore après l’acte de la convention qui abolissait la royauté… Comme le rappelle très justement M. Gabriel de Chénier, enthousiaste partisan des principes proclamés en 1789, il avait donné la plus sérieuse adhésion à la constitution de 1791 ; dans chacun de ses écrits, dans sa longue polémique avec les journaux, il n’avait pas cessé d’invoquer cette loi fondamentale, comme le pacte social entre

  1. Voyez cette lettre, entièrement inédite, in extenso dans la Notice de M. Gabriel de Chénier. C’est également à son témoignage que nous empruntons les détails que nous donnons sur cette période de la vie d’André.