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une extrême répugnance, dut insister plus que personne pour déterminer André, avec lequel il était réconcilié, à s’éloigner de la ville où régnaient désormais Collot-d’Herbois et Robespierre. Député à la convention pour le département de Seine-et-Oise, il pensa, nous dit-on, que son influence et son autorité de représentant, ses relations, la faveur populaire dont il y était entouré, protégeraient André à Versailles mieux que partout ailleurs ; il trouva pour lui une petite maison tranquille située à l’extrémité de la rue de Satory et qui porté aujourd’hui le no 69. C’est là qu’André, brisé par l’émotion et souffrant depuis longtemps d’une maladie cruelle, s’installa vers le printemps de 1793 ; c’est là qu’il passa quelques mois, les derniers mois heureux de sa vie, dans le silence et le travail. Il revint avec délices à ses études favorites qu’il avait abandonnées dans l’ardeur de la lutte, à ses poètes grecs, ses vrais consolateurs, à ces compositions commencées qui attendaient la dernière touche de cette main savante et délicate. Il vécut de nouveau dans ce monde enchanté qu’il avait créé en lui-même, qu’il portait depuis plus de dix ans dans son imagination et qu’il espérait enfin produire à la lumière ; mais quelque chose de nouveau s’était accompli en lui à son insu. Cette veine de sensualité qui courait à travers ses élégies et ses églogues, quand dans l’ivresse de la vingtième année il chantait sous des noms grecs l’indulgente nature, la volupté délirante ou la fantaisie sans lendemain, cette veine si libre et un peu folle d’autrefois s’était comme purifiée au contact de la réalité brûlante, sous le feu des mâles passions et des héroïques colères. Ce n’était plus le temps des mystères nocturnes et des confidences de la Lampe. Glycère, Camille, Lycoris, avaient disparu dans la tempête. Pour qui sait lire dans l’âme du poète, il s’y est fait comme une transformation. Ce n’est pas que, même à cette heure de sa vie, l’amour soit loin de lui. Il l’a rencontré au fond de ses retraites, dans ces bois de Luciennes où il se rendait presque tous les jours, où. il connut Fanny, où, en l’aimant, il trouva une raison nouvelle d’aimer la vie[1] ; mais quelle différence dans la note et l’inspiration de cet amour avec les voluptueuses élégies d’autrefois !

Fanny, l’heureux mortel qui près de toi respire Sait, à te voir parler, et rougir et sourire, De quels hôtes divins le ciel est habité. ………. Oh ! que n’ai-je moi seul tout l’éclat et la gloire Que donnent les talens, la beauté, la victoire,

  1. La Fanny du poète semble bien être Mme Laurent Lecoulteux, la sœur de la comtesse Hocquart, la fille de Mme Pourrat, qui s’était réfugiée avec sa famille dans sa maison de Luciennes. Voyez les différentes notices de M. Becq de Fouquières.