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hautes cimes des Alpes, de l’Himalaya, du Caucase ou des Pyrénées. Ces émissaires descendent plus ou moins bas au-dessous de la limite ou de la ligne des neiges éternelles. Tel est le langage usité dans la science officielle. Il est temps de le réformer et de combattre cette croyance à l’existence d’une ligne des neiges éternelles dont il est toujours question dans les ouvrages de géographie même les plus récens. La paternité de cette erreur remonte à Alexandre de Humboldt, et la grande autorité de cet illustre voyageur nous explique pourquoi cette malheureuse conception s’est perpétuée. En voici l’origine. Quand de la plaine suisse on contemple les Alpes, l’œil aperçoit en effet une ligne blanche continue en apparence, au-dessous de laquelle tout est vert ou sombre, tandis qu’au-dessus tout est blanc ou sans végétation. Cette ligne est formée non point par des neiges, mais par des glaciers dits de second ordre, suspendus aux flancs des montagnes. Nulle part, ni sur les hauts sommets, ni sur les plateaux élevés, la neige ne persiste à l’état de neige pendant tout le cours de l’été ; elle disparaît ou se transforme, sous l’influence des températures supérieures à zéro, en névé, c’est-à-dire en neige grenue et pénétrée d’eau. Regelant à plusieurs reprises quand le thermomètre descend au-dessous de zéro, ce névé se convertit peu à peu en glace de plus en plus compacte. Dans les Alpes, un grand nombre de pics et de plateaux élevés au-dessus de 2 800 mètres, hauteur de cette prétendue ligne des neiges éternelles, sont libres de neige pendant l’été. Le Mont-Cervin en Valais, l’Aiguille-Verte dans la vallée de Chamounix, le Finsteraarhorn, dans le canton de Berne, laissent voir leur ossature rocheuse sur toute leur hauteur. La neige qui de loin semble persister dans les crevasses, les cavités ou les simples dépressions, est du névé ou de la glace. Vainement, le baromètre en main, s’efforcerait-on de déterminer la hauteur de cette limite des neiges éternelles. Quand on l’essaie, on trouve d’abord des flaques de névé dans les points abrités des rayons du soleil ou les pentes tournées vers le nord ; mais ces flaques sont isolées et séparées par des intervalles gazonnés où la terre est à découvert. Si l’on s’élève davantage pour atteindre enfin un tapis de neige continu, on met le pied sur la glace, on est sur un glacier. Il y a déjà longtemps, M. Desor proposait de substituer à la prétendue ligne des neiges éternelles celle des névés, qui est en effet bien marquée. Quiconque a remonté l’un des grands glaciers de la Suisse a reconnu qu’il marchait d’abord sur de la glace ; mais à une certaine hauteur, variable pour chacun d’eux et pour chaque année, on arrive au névé ; le pied enfonce dans une neige grenue qui recouvre le glacier comme un linceul et masque souvent les crevasses dont il est sillonné. Le névé forme ces ponts perfides qui