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constaté qu’elle était de 20 à 25 mètres pour la Mer de glace au Montanvert ; l’été dernier, j’ai reconnu qu’elle dépassait 30 mètres sur le glacier d’Aletsoh, près de la Belalp. Au lieu de remplir son lit comme autrefois, ce grand glacier, semblable à une rivière près de son étiage, était dominé par deux escarpemens de rochers polis, striés et recouverts des débris qu’il y avait abandonnés. Jadis on montait sur le glacier pour le traverser, aujourd’hui on descend. Peut-être serons-nous témoins à la fin du siècle d’une nouvelle progression des glaciers. Le dernier hiver a été très neigeux, et, si l’été prochain n’est pas chaud, les glaciers avanceront. Une série d’hivers pareils à celui-ci, suivis d’étés courts et froids, les ramèneraient en quinze ou vingt ans au point qu’ils avaient atteint en 1854 et peut-être à celui où ils étaient arrivés en 1818, le plus extrême qui ait été positivement constaté. MM. Dufour et Forel, étudiant le glacier du Rhône, ont trouvé en 1870 que l’ancienne moraine de 1856 de ce glacier était de 320 mètres en avant de son extrémité inférieure, et celle de 1818 en était éloignée de 420 mètres. Tous les voyageurs qui s’arrêteront à l’excellent hôtel qui les avoisine, après avoir franchi la Meyenwand, traversé la Furca ou remonté la vallée du Haut-Valais, pourront s’en assurer par eux-mêmes. M. Venance Payot a constaté de son côté que le glacier des Bossons dans la vallée de Chamounix avait reculé en quarante-sept ans (de 1818 à 1865) de 480 mètres.

La plupart des glaciers avancent ou reculent d’un pas lent et uniforme ; il en est cependant qui, grâce à des circonstances topographiques spéciales, se précipitent quelquefois avec une rapidité inusitée et donnent lieu à des catastrophes subites : tel est le Vernagtferner, au haut de la vallée d’Oetz, dans le Tyrol autrichien. Ce glacier, glissant sur une pente très forte, progressait dans l’été de 1845 avec une vitesse de 10 mètres par jour ; il barra la vallée, un lac se forma, et deux fois par an il se vidait et grossissait d’une manière inquiétante les eaux du torrent qui parcourt l’Oetzthal. Plus curieux et plus redoutable encore est le glacier de Devdorok : il descend sur le versant nord du Kasbek, une des sommités les plus élevées du Caucase, et s’arrête à 2 300 mètres au-dessus de la mer. Émissaire d’un vaste cirque de névé, il glisse sur une forte pente dans un couloir étroit pour s’élargir de nouveau dans une vallée dont l’extrémité inférieure aboutit à une gorge resserrée par où s’échappe le torrent du glacier. Comme celui de Zmutt au haut de la vallée de Zermatt en Valais, il est presque entièrement couvert de débris et de blocs tombés des montagnes voisines. Quand le glacier s’accroît outre mesure, la gorge située en aval ne saurait donner issue à la glace amoncelée ; celle-ci forme un barrage qui arrête le cours du