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façonnés par la main de l’homme, mêlés également à des débris d’ossemens fossiles et extraits d’une couche géologique chronologiquement bien déterminée. Ainsi M. l’abbé Bourgeois a trouvé à la base du calcaire de la Beauce ou terrain tertiaire inférieur des silex taillés de formes diverses. On en a exhumé des sables plus modernes de l’Orléanais, qui appartiennent aux terrains tertiaires moyens. Enfin M. Desnoyers a rencontré à Saint-Prest, près de Chartres, dans une sablonnière du terrain tertiaire supérieur ou pliocène des ossemens de grands mammifères fossiles présentant des entailles faites avec un instrument tranchant. D’après ces documens, l’apparition ou l’arrivée de l’homme en France serait contemporaine du dépôt des terrains tertiaires, c’est-à-dire bien antérieure à la période glaciaire. Le lecteur devine les incertitudes que ces preuves indirectes ont dû laisser dans beaucoup de bons esprits et les objections qu’on leur a opposées. Les témoignages sont plus convaincans quand il s’agit de l’existence de l’homme pendant l’époque glaciaire, car ils sont à la fois plus positifs et plus variés.

Déjà en 1823, M. Ami Boué exhumait dans la vallée du Rhin des ossemens humains recouverts d’une couche de loess ou boue glaciaire de 25 mètres d’épaisseur. Cuvier, qui repoussait l’idée de l’homme fossile, déclara que ces os devaient provenir d’un cimetière récent, et le fait fut oublié ; mais en 1834, sir Charles Lyell, dont la géologie déplore la perte récente, témoin du déblaiement d’une tranchée creusée dans un osar près de Stockholm pour le passage d’un canal, observait avec étonnement à 18 mètres au-dessous de la surface de la colline, qui était chargée de blocs erratiques, la charpente en bois d’une cabane contenant un foyer rustique avec des bûches en partie carbonisées. En dehors de la cabane se trouvaient des branches de pin coupées pour alimenter le foyer, et les restes d’un canot, dont les bordages étaient réunis entre eux par des chevilles en bois. On comprend d’après ce que nous avons dit précédemment que le pêcheur habitant de cette hutte vivait sur ce rivage avant ou pendant la première période glaciaire, antérieurement à l’immersion de la côte qui lui a succédé. Durant cette immersion, la cabane, enfoncée avec la côte qui la portait au-dessous du niveau de la mer, a été recouverte de sable, de graviers et de limon ; des coquilles marines y ont vécu, les glaces flottantes y ont déposé des blocs erratiques ; puis la côte s’est relevée, la colline émergée a été mise à sec, et un heureux hasard a fait apparaître au jour la cabane, le foyer et le canot du pêcheur préhistorique. Si ce fait était isolé, je concevrais les doutes qu’il a soulevés au dernier congrès anthropologique réuni à Stockholm l’été dernier ; mais partout on a fait des observations analogues.