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médecine, droit usuel, économie politique et économie domestique, tout se mêle et tout se ressemble en cette éducation, si propre à développer de bonne heure l’esprit positif de l’Anglais. La science même se fait volontiers utilitaire chez ce peuple pratique, qui veut savoir non pour savoir, mais pour agir, qui juge l’arbre au fruit, la spéculation à l’application : la science en effet, telle qu’on l’entend dans le pays de Bacon, ne s’en tient-elle pas encore trop souvent aux détails les plus prochains, les plus immédiatement saisissables, les plus prêts à être « utilisés ; » ne se défie-t-elle pas de la généralisation et des vues d’ensemble qui offriraient un caractère trop universel ? Si de rares penseurs, comme M. Spencer, s’élèvent à des considérations systématiques, la plupart des savans et des philosophes, tels que M. Bain, se montrent plus purement Anglais et trahissent mieux les penchans innés à la race : goût des choses observables, amour de l’expérience et de l’induction, besoin de certitude matérielle. On amasse des faits et des exemples comme des pièces d’or ; quant aux idées générales, on ne les admet que comme des billets de banque, dont toute la valeur est d’être convertibles en numéraire[1].

Dans les principales applications de la science sociale, — droit et politique, — l’esprit anglais ne s’arrache guère à cette constante préoccupation de l’intérêt bien entendu ; qui ne connaît la répugnance des législateurs de la Grande-Bretagne pour les principes abstraits, pour les droits a priori, pour les constitutions rationnelles ? Le peuple anglais aime mieux s’en tenir aux intérêts les plus voisins : sa prudence se contente donc ou de la tradition, ou de réformes particulières aussi rapprochées qu’il est possible de la tradition même. Point de révolution dans la jurisprudence au nom d’idées générales et désintéressées ; la coutume suffit au praticien. Aussi, au lieu d’un code, les Anglais ont, selon l’expression de M. Maine, un monceau de coutumes. Si ténébreuse est cette législation, paraît-il, qu’ayant d’acheter un domaine il faut souvent plusieurs hommes de loi et des mois d’études pour examiner les titres du vendeur et pour ôter à l’acheteur toute crainte de chicane.

Le même esprit utilitaire dans la politique intérieure fait presque

  1. Stuart Mill, dans ses Mémoires, a bien signalé ce défaut de ses compatriotes, dont lui-même ne fut pas toujours exempt. Aussi, par contraste, il se rappelle avec plaisir ses séjours en France, où, dit-il, « des sentimens que l’on peut appeler élevés en comparaison marquent de leur cachet toutes les relations humaines, aussi bien dans les livres que dans la vie. » Chez l’Anglais, ajoute-t-il, « le manque d’intérêt pour les choses qui ne le touchent pas personnellement, » et ensuite, quand il lui arrive d’y prendre intérêt, l’habitude de ne pas le laisser paraître, bien plus, de ne pas se l’avouer à lui-même, « le réduit en tant qu’être spirituel à une espèce d’existence négative. »