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Le rôle de lord Russell dans la politique intérieure de son pays ne laisse que peu de place à la critique : il fut toute sa vie un réformateur, il ne fut jamais un révolutionnaire. Il serait oiseux de le suivre jusqu’à la fin de sa longue carrière dans sa tâche laborieuse de législateur, de rétameur de lois, pour employer une expression énergique de Bright ; lord Russell a été associé à l’œuvre des économistes anglais, qui ont réussi à faire abolir les lois sur les céréales, les actes de navigation, toutes les mesures restrictives du passé ; mais il n’a jamais été un apôtre, comme Cobden, comme Bright, il n’a été guidé que par le libéralisme vague des whigs, et il a vu surtout dans ce libéralisme une arme de gouvernement. Dans son livre, plein de répétitions, de retours sur le passé, de confuses explications, on perd quelquefois la tête, mais on se retrouve toujours lorsqu’on se demande : à ce moment lord Russell défendait-il ou attaquait-il le pouvoir ? Tout cet arsenal de lois, de petites mesures présentées, secondées, amendées, remaniées, fait penser à ces vastes établissemens où des machines de toute sorte grincent, tournent et travaillent. Pourquoi tout ce mal et tout ce labeur ? C’est pour que la raison sociale X et Cie conserve son crédit. Tel est un peu le sentiment de lord Russell. Ce n’est pas « la liberté religieuse et civile, » la formule qui revient toujours à sa bouche, qui est nécessaire aux whigs ; ce sont les whigs qui sont nécessaires à la liberté religieuse et civile : non qu’il eût la passion maladive du pouvoir, — il n’eût pas commis, je ne dirai pas seulement la moindre bassesse, mais la moindre faiblesse pour le conquérir ou le garder ; — il lui semblait naturel qu’un Russell fût aux affaires, et il prélevait une sorte de dîme sur toutes les idées nouvelles, tous les projets qui étaient de nature à plaire à la nation. Il avait achevé la première réforme parlementaire. Il eut le regret de n’avoir pu faire la seconde et ne se contenta pas de l’honneur de l’avoir préparée avec M. Gladstone. Il avait cru aller assez loin en demandant le droit électoral pour tous les ouvriers qui paient 7 livres sterling de loyer. Ses principes whigs l’obligeaient à prendre encore quelques précautions contre ceux qui tiendraient dans leurs mains, par les élections à la chambre des communes, les destinées de l’Angleterre. Les tories furent cette fois plus libéraux que lui : ils accordèrent le droit électoral à tous ceux qui paient un loyer, et firent, avec M. Disraeli, suivant le mot de lord Derby, « le saut dans un trou noir. » Lord Russell, qui s’indignait de trouver les conservateurs si osés, ne voulut toutefois pas les combattre, et engagea ses amis dans la chambre des communes à voter la nouvelle réforme. Il en voulait moins aux tories de dégrader la franchise électorale que d’avoir fait une sorte de pacte avec la nation en lui témoignant une confiance presque sans bornes.