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extérieures ; il dirait volontiers à son pays, si cet aphorisme n’appartenait plutôt à ses adversaires politiques : a Repose-toi, et sois reconnaissant » (rest and be thankful) ; mais son ambition nationale n’est pas encore satisfaite. Il rêve je ne sais quelles luttes où les armes anglaises brilleraient d’une nouvelle gloire. Il jette les yeux sur l’avenir.

Il voit par momens l’étoile d’un nouveau Napoléon se lever, pâle encore, sur l’horizon, et dit alors : « Les grands pouvoirs européens sont avertis ; l’Angleterre et l’Italie, l’Allemagne et la Prusse, l’Autriche et la Russie feront bien, quand l’aigle impériale volera de clocher en clocher à Notre-Dame, de faire des traités d’alliance et de se préparer à l’action. » Il est rassuré par l’état présent des alliances européennes. « Nous pouvons, dit-il, compter sur la prudence de l’Allemagne, de l’Autriche et de la Russie ; ces trois puissances resteront unies en esprit, sinon dans la forme. Huit ou dix mois avant que la guerre de 1870 n’éclatât, lord Clarendon m’informa que la Prusse avait un arrangement avec la Russie, en vertu duquel la Russie mettrait une armée assez forte sur la frontière gallicienne pour empêcher l’Autriche d’assister la France dans la guerre future. » Lord Russell est confiant dans la durée des intérêts prêts à se coaliser contre nous. Il le dit avec cette candeur brutale qui n’a jamais rien épargné. « Si les rêves de Napoléon Ier inspiraient quelque futur Bonaparte et le poussaient à tenter de recouvrer ce qu’on nomme les frontières naturelles de la France, j’ai confiance que de nouveaux cent-jours amèneraient une troisième invasion de la France. » Le moment est bien choisi en vérité pour faire de telles prophéties ! et ce n’est pas seulement de l’enfance que l’on peut dire : « Cet âge est sans pitié. »

Comme les lutteurs retirés, lord Russell ne supportait qu’impatiemment le repos. Il trouva une occasion de remuer encore une fois les passions nationales quand le parlement de Berlin vota les lois du docteur Falk. Lord Russell, protestant zélé et érastien, partisan d’une église nationale, avait cherché toute sa vie le moyen de contenir l’église catholique d’Irlande : en dernière analyse, il n’en avait pas imaginé de plus simple que de la salarier. Il salua un maître dans le docteur Falk, et l’on apprit tout d’un coup avec quelque étonnement que le patriarche du parti « de la liberté civile et religieuse » avait accepté la présidence d’un grand meeting à Londres, où l’on devait approuver les mesures des gouvernemens allemands contre l’église catholique et voter une adresse d’encouragement et de félicitation à M. de Bismarck. Les dissidens avaient applaudi aux lois Falk sans les bien connaître ; c’était assez pour eux qu’en vertu de ces lois un évêque fût de temps en temps mis en prison, et qu’on vendît ses meubles à l’encan ; on ne comprit