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majeure partie ! .. Appelés à nous prononcer sur de tels actes et de tels principes, nous ne pouvons que les déplorer profondément et sincèrement, et nous croyons remplir un devoir rigoureux en exprimant de la manière la plus explicite et la plus formelle notre désapprobation… » Quinze ans se sont passés : c’est le chancelier prussien qui accuse les continuateurs de la politique de Cavour de trop ménager l’indépendance du Vatican, c’est l’Italie qui couvre le pape de sa garantie, et le roi Victor-Emmanuel reçoit à Venise l’empereur François-Joseph, scellant cordialement avec lui la réconciliation, l’alliance des dominateurs et des asservis d’autrefois !

C’est la dernière ville reconquise sur l’étranger qui a été choisie pour cette entrevue qu’on pourrait d’une certaine façon appeler le couronnement de la révolution italienne. Victor-Emmanuel faisant les honneurs de la ville des doges à l’héritier des Habsbourgs, le souverain d’aujourd’hui et de demain offrant l’hospitalité au souverain d’hier au milieu d’une cité en fête, c’est assurément un des plus étranges spectacles de l’histoire contemporaine. Venise, pendant quelques jours, a vu ce spectacle, les gondoles royales courant sur les canaux, les drapeaux qui se sont rencontrés sur le champ de bataille réunis cette fois en faisceau sur les palais, l’empereur François-Joseph passant la revue de l’armée italienne, les personnages officiels des deux pays se mêlant et traitant ensemble des intérêts communs, les banquets et les représentations de gala. Évidemment c’est plus qu’une entrevue ordinaire de deux souverains ; on sentait que ces fêtes n’étaient que l’expression pittoresque et imagée, d’une pensée plus sérieuse, et si François-Joseph a répondu à l’hospitalité qu’il recevait en portant d’un accent ferme et sincère un toast à la prospérité de l’Italie nouvelle, la nation italienne à son tour s’est associée aux témoignages de sympathie prodigués par Victor-Emmanuel à son hôte impérial. Si quelques voix discordantes se sont élevées ça et là comme par un souvenir mal éteint du passé, elles se sont perdues dans la manifestation à peu près unanime d’une chaleureuse cordialité, et de même que les journaux militaires autrichiens saluaient, il y a deux ans, dans Victor-Emmanuel allant à Vienne le vaillant chef de l’armée italienne, l’Italia militare, rendant salut pour salut, disait récemment au souverain autrichien : « Soyez le bienvenu parmi nous ! .. L’armée italienne ne salue pas seulement l’héritier de la maison guerrière de Habsbourg, le parent de notre roi, mais aussi le chef chevaleresque et digne de cette armée austro-hongroise qui fut, durant de longues années, notre constant et valeureux adversaire. » La population vénitienne elle-même a voulu animer de ses démonstrations expansives ces fêtes de quelques jours, où l’empereur François-Joseph a figuré avec le comte Andrassy et quelques-uns de ses généraux, où le roi Victor-Emmanuel était entouré de ses fils, de la plupart de ses ministres, M. Minghetti, M. Visconti-Venosta, le général Ricotti, des présidens des deux