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observés dans une œuvre très caractéristique, il est impossible de méconnaître ce qu’un pareil homme dut avoir d’action sur Rubens. L’élève avait certainement dans le sang beaucoup du maître. Il avait même à peu près tout ce qui faisait l’originalité de son maître, mais avec beaucoup d’autres dons en surcroît, d’où devaient résulter l’extraordinaire plénitude et la non moins extraordinaire assiette de ce bon esprit. Rubens, a-t-on écrit, était tranquille et lucide, ce qui veut dire que sa lucidité lui vint d’un bon sens imperturbable, et sa tranquillité du plus admirable équilibre qui peut-être ait jamais régné dans un cerveau. Il n’en est pas moins vrai qu’il y a entre Van-Noort et lui des liens de famille évidens. Si l’on en doutait, on n’aurait qu’à regarder Jordaens, son condisciple et sa doublure. Avec l’âge, avec l’éducation, le trait dont je parle a pu disparaître chez Rubens : chez Jordaens, il a persisté sous son extrême ressemblance avec Rubens, de sorte que c’est aujourd’hui par la parenté des deux élèves qu’on peut reconnaître la marque originelle qui les unit l’un et l’autre à leur maître commun. Jordaens aurait certainement été tout autre, s’il n’avait eu Van-Noort pour instituteur, Rubens pour constant modèle. Sans cet instituteur, Rubens serait-il tout ce qu’il est, et ne lui manquerait-il pas un accent, un seul, l’accent roturier, qui le rattache au fond de son peuple, et grâce auquel il a été compris de lui aussi bien que des esprits délicats et des princes ? Quoi qu’il en soit, la nature semble avoir tâtonné quand, de 1557 à 1581, elle cherchait le moule où devaient se fondre les élémens de l’art moderne en Flandre. On peut dire qu’elle essaya de Van-Noort, qu’elle hésita pour Jordaens, et qu’elle ne trouva ce qu’il lui fallait qu’avec Rubens.

Nous sommes en 1600. Rubens est dorénavant de force à se passer d’un maître, mais non pas des maîtres. Il part pour l’Italie. Ce qu’il y fit, on le sait. Il y séjourne huit ans, de vingt-trois à trente et un ans. Il s’arrête à Mantoue, prélude à ses ambassades par un voyage à la cour d’Espagne, revient à Mantoue, passe à Rome, puis à Florence, puis à Venise ; puis de Rome il va s’établir à Gênes. Il y voit des princes, y devient célèbre, y prend possession de son talent, de sa gloire, de sa fortune. Sa mère morte, il rentre à Anvers, en 1609, et se fait reconnaître sans difficultés comme le premier maître de son temps.


III

Si j’écrivais l’histoire de Rubens, ce n’est point ici que j’en écrirais le premier chapitre : j’irais chercher Rubens à ses origines, dans ses tableaux antérieurs à 1609, ou bien je choisirais une heure décisive, et c’est d’Anvers que j’examinerais cette carrière si