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suivant les idées du temps, les effets du sacre devaient être héréditaires à perpétuité. Le pape consacra, non pas un homme seulement, mais toute une famille. Lorsqu’il versa l’huile sainte sur Pépin, sur sa femme, sur ses enfans, il prononça que leurs descendans devaient régner à tout jamais, et il frappa d’anathème « quiconque dans la suite des temps voudrait prendre un roi qui ne serait pas de leur sang. » Il est bien difficile de croire qu’un pape eût pu s’exprimer ainsi en 753, si le droit public des Francs avait exigé que la royauté fut élective. Aussi ne peut-on citer aucun texte qui montre que cette règle fût établie. Au temps des Mérovingiens, les fils avaient toujours succédé aux pères ; ils s’étaient même partagé la royauté comme on se partage un patrimoine. On rencontre plusieurs exemples de rois renversés et remplacés par d’autres ; mais on ne rencontre pas un seul exemple d’une élection nationale et régulière. On chercherait en vain dans les lois des Francs un mot qui indiquât que les rois dussent être élus par leurs sujets. Il n’y a pas eu dans ces deux siècles et demi une seule assemblée nationale qui ait délibéré sur le choix du roi et qui l’ait choisi par ses suffrages[1]. Aussi les Mérovingiens n’ont-ils jamais cessé d’écrire dans leurs actes officiels que c’était Dieu qui les avait faits rois ; ils n’ont jamais fait mention d’une élection populaire.

Le principe d’hérédité ne fut pas contesté davantage sous la nouvelle dynastie, du moins durant les quatre premières générations de rois. On ne trouve jamais dans les documens du VIIIe et du IXe siècle que la royauté eût sa source dans la volonté nationale ; on y lit au contraire à chaque page que la royauté émane de Dieu même. Pépin et Charlemagne s’intitulaient rois par la grâce de Dieu. Le pape Etienne II, dans une lettre qui nous a été conservée, écrit que Pépin et ses fils ont été constitués rois par Dieu même. Alcuin dit à Charlemagne que c’est la volonté de Jésus-Christ qui l’a fait roi. Un autre contemporain écrit en 781 que Charlemagne est roi par droit d’héritage. Ce prince répète incessamment dans ses lois que le peuple lui a été confié par Dieu. Louis le Débonnaire, si humble qu’il soit, ne craint pas d’écrire que c’est la Providence divine qui lui a conféré la suprême puissance ; il ne signale jamais la volonté du peuple. Charles le Chauve lui-même prononcera encore dans une assemblée solennelle ces paroles : « vous savez bien que c’est la vieille coutume dans le royaume des Francs que les rois succèdent par droit de naissance. »

On se tromperait toutefois, si l’on pensait que la règle d’hérédité

  1. On trouve parfois dans les chroniqueurs des expressions telles que sublimare in regnum, elevare in solium, qui désignent, non pas une élection, mais une cérémonie solennelle d’installation qui avait lieu pour chaque nouveau roi. Voyez Frédégaire, c. 79, Gesta Dagoberti, c, 15, Vita S. Leodegarii, c. 3.