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assemblées, loin d’être une pratique de liberté, étaient un moyen de gouvernement. Elles étaient un procédé commode pour faire parvenir au pouvoir central les forces et l’argent des sujets, et pour faire descendre vers les sujets les volontés et les inspirations du pouvoir central. Elles étaient la centralisation même sous sa forme la plus rigoureuse et la plus dure, puisque tous les hommes libres de l’empire devaient chaque année se rendre en personne auprès du maître.

Il est bien vrai que le prince pouvait, dès qu’il le voulait, consulter l’assemblée. Sur un jugement difficile ou sur une loi nouvelle, il pouvait lui demander son avis. S’agissait-il d’une guerre à entreprendre, nous ne voyons jamais qu’il la consultât, mais nous devons bien penser qu’il n’eût pas été facile de conduire cette réunion de guerriers à une expédition qui lui aurait formellement déplu. Il est hors de doute qu’un peuple ainsi rassemblé n’obéit que s’il veut obéir. Lorsqu’un prince est en contact si direct avec la nation, il peut encore être un monarque très absolu, mais il faut que la nation consente à ce qu’il le soit. Quand Charlemagne se trouvait, durant plusieurs semaines, au milieu de ce peuple armé, il ne se pouvait pas qu’il n’entendît ses vœux, et qu’il n’eût un sentiment très vif de ses besoins. S’il lui faisait donner lecture de ses volontés, il lui demandait implicitement son adhésion. Une sorte de vote tacite et inconscient se produisait au fond de cette foule. Le mécontentement et la désaffection auraient eu bien des moyens de se manifester. Il fallait compter avec ces hommes. Hincmar décrit l’assemblée générale du mois de mai : il ne dit pas qu’elle délibère ni qu’elle décide sur aucun sujet ; mais l’empereur, pendant plusieurs jours, a parcourt les rangs de la multitude, reçoit les dons de chacun, salue les principaux personnages, s’entretient avec les plus Agés, plaisante gaîment avec les plus jeunes. » On conçoit qu’une telle assemblée eût moralement une puissance incalculable ; légalement elle n’en avait aucune. Elle ne possédait ni l’initiative des propositions, ni la discussion et l’examen, ni le suffrage régulier, ni la décision définitive. On ne voit jamais personne y prendre la parole, si ce n’est le roi ; nulle trace de débat, rien de ce qui caractérise une assemblée délibérante ou des comices populaires ne se rencontre ici. Cette grande réunion ne représente que l’obéissance : qui n’est pas un fidèle sujet n’y vient pas. Elle pourrait faire opposition ; mais, suivant les idées de ces hommes, l’opposition se marquerait plutôt par l’absence. Elle n’est pas une garantie de liberté ; les hommes feraient plutôt ! consister la liberté à la supprimer. Aussi aperçoit-on bien dans la suite des faits que ce n’est pas cette assemblée qui affaiblit la royauté, carolingienne ; c’est au contraire la faiblesse de la royauté qui laissa disparaître l’assemblée.