Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/322

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LES SALADEROS
DE L'AMERIQUE DU SUD


I

Nous avons tenté ici même[1] d’étudier sous ses divers aspects le caractère de l’habitant des pampas et de retracer cette vie oisive, indifférente à tout bien-être, de l’indigène au milieu de ses troupeaux et du colon, qui s’endort, lui aussi, dans l’inaction à l’ombre d’une prospérité précaire. Il est permis de chercher l’explication de l’état actuel du vaste territoire des pampas dans cette étrange législation espagnole qui défendait aux colonies le travail et la production en leur imposant la consommation exclusive des produits de la métropole : là est la vraie cause de l’état d’infériorité relative dans lequel, au milieu d’immenses richesses spontanées, a végété un pays plus anciennement colonisé que les états du nord. Perdu au milieu du désert, abandonné par la mère-patrie, le colon, quel qu’il fût, criminel expulsé, émigrant laborieux ou pionnier avide de découvertes, n’était plus considéré comme Espagnol du jour où il touchait le sol de l’Amérique et s’y établissait ; il devenait un instrument de fortune pour les chefs de compagnies autorisées à exploiter le pays, un vassal taillable et corvéable à merci. Il est surprenant qu’un pareil sort ait tenté quelques coureurs d’aventures et que les chefs d’expéditions aient pu enrôler des volontaires ; il fallait vraiment que l’Espagne de Philippe II et de ses successeurs fût un triste séjour pour que les états de la Plata, où n’existait pas l’attrait des mines d’or, aient pu se peupler en deux siècles de 56,000 Espagnols. Le système général appliqué à toutes les

  1. Voyez la Revue du 15 juillet 1875.