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à l’esprit comme une personne particulière bien distincte et dont on se souvienne comme d’un visage qui vous a frappé ? À distance, on les oublie ; vus ensemble, on les confondrait presque. Les particularités de leur existence ne les ont pas nettement séparés dans l’esprit du peintre, et les séparent encore moins dans la mémoire de ceux qui ne les connaissent que d’après lui. Sont-ils ressemblans ? Oui, à peu près. Sont-ils vivans ? Ils vivent, plus qu’ils ne sont. Je ne dirai pas que ce soit banal, et cependant ce n’est pas précis. Je ne dirai pas non plus que le peintre les ait mal vus ; mais je croirais qu’il les a regardés à la légère, par l’épiderme, peut-être à travers des habitudes, sans doute à travers une formule, et qu’il les a traités, quel que soit leur sexe ou leur âge, comme les femmes aiment, dit-on, qu’on les peigne, en beau d’abord, ressemblantes ensuite. Ils sont bien de leur temps et pas mal de leur rang, quoique Van-Dyck, pour prendre un exemple à côté du maître, les mette encore plus précisément à leur date et dans leur milieu social ; mais ils ont le même sang, ils ont surtout le même caractère moral et tous les traits extérieurs modelés sur un type uniforme. C’est le même œil clair, bien ouvert, regardant droit, le même teint, la même moustache finement retroussée, relevant par deux accrocs noirs ou blonds le coin d’une bouche virile, c’est-à-dire un peu convenue. Assez de rouge aux lèvres, assez d’incarnat sur les joues, assez de rondeur dans l’ovale pour annoncer, à défaut de la jeunesse, un homme dans son assiette normale, dont la constitution est robuste, le corps en santé, l’âme en repos. De même pour les femmes : un teint frais, un front bombé, de larges tempes, peu de menton, des yeux à fleur de tête, de couleur pareille, d’expression presque identique, une beauté propre à l’époque, une ampleur propre aux races du nord avec une sorte de grâce propre à Rubens, où l’on sent comme un alliage de plusieurs types qui semblent hanter son cerveau : Marie de Médicis, l’infante Isabelle, Isabelle Brandt, Hélène Fourment. Toutes les femmes qu’il a peintes semblent avoir contracté, malgré elles et malgré lui, je ne sais quel air déjà connu au contact de ses souvenirs persistans, et toutes, plus ou moins, participent de l’une ou de l’autre de ces quatre personnes célèbres, moins sûrement immortalisées par l’histoire que par le pinceau du peintre. Elles-mêmes ont entre elles je ne sais quel air de famille qui peut-être vient un peu de leur naissance, qui pour beaucoup est le fait de Rubens.

Vous représentez-vous les femmes de la cour de Louis XIII et de Louis XIV ? Vous faites-vous une idée bien nette de Mmes de Longueville, de Montbazon, de Chevreuse, de Sablé, de cette belle duchesse de Guéménée, à qui Rubens, interrogé par la reine, osa