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et son Martyre de saint Pierre sont du Jordaens délicat et presque poétique, c’est-à-dire du Rubens conservé dans sa noblesse et raffiné par une main plus curieuse. Ses saintetés, passions, crucifiemens, dépositions, beaux Christs morts, belles femmes en deuil et en larmes, n’existeraient pas ou seraient autres, si Rubens, une fois pour toutes dans ses deux triptyques d’Anvers, n’avait pas révélé la formule flamande de l’Évangile et déterminé le type local de la Vierge, du Christ, de la Madeleine et des disciples. Il y a plus de sentimentalité toujours, et quelquefois plus de sentiment profond dans le fin Van-Dyck que dans le grand Rubens (et encore en est-on bien certain ?), c’est une affaire de nuances et de tempérament. Tous les fils ont, comme Van-Dyck, un trait féminin qui s’ajoute aux traits du père. C’est par là que le trait patronymique s’embellit quelquefois, s’attendrit, s’altère et diminue. Entre ces deux âmes, si inégales d’ailleurs, il y a comme une influence de la femme ; il y a d’abord et pour ainsi dire une différence de sexe. Van-Dyck allonge les statures que Rubens faisait trop épaisses : il met moins de muscles, de reliefs, d’os et de sang. Il est moins turbulent, jamais brutal ; ses expressions sont moins grosses ; il rit peu, s’attendrit souvent, ne connaît pas le fort sanglot des hommes violens. Il ne crie jamais. Il corrige beaucoup des âpretés de son maître ; il est aisé, parce que le talent chez lui est prodigieusement naturel et facile ; il est libre, alerte, mais ne s’emporte pas.

Morceaux pour morceaux, il y en a qu’il dessinerait mieux que son maître, surtout quand le morceau est de choix : une main oisive, un poignet de femme, un long doigt orné d’un anneau. Il est plus retenu, plus policé ; on le dirait de meilleure compagnie. Il est plus raffiné que son maître, parce qu’en effet son maître s’est formé seul, élevé seul, et que la souveraineté du rang dispense et tient lieu de beaucoup de choses. Il avait vingt-quatre ans de moins que Rubens ; il ne lui restait plus rien du XVIe siècle. Il appartenait à la première génération du XVIIe, et cela se sent. Cela se sent au physique comme au moral, dans l’homme et dans le peintre, dans son joli visage et dans son goût pour les beaux visages ; cela se sent surtout dans ses portraits. Sur ce terrain, il est merveilleusement du monde, de son monde et de son moment. N’ayant jamais créé un type impérieux qui l’ait distrait du vrai, il est exact, il voit juste, il voit ressemblant. Peut-être donne-t-il à tous les personnages qui ont posé devant lui quelque chose des grâces de sa personne : un air plus habituellement noble, un déshabillé plus galant, un chiffonnage et des allures plus fines dans les habits, des mains plus également belles, pures et blanches. Dans tous les cas, il a plus que son maître le sens des ajustemens bien portés, celui des modes, le goût des étoffes soyeuses, des satins, des aiguillettes, des rubans,