Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/398

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’est dans un petit recoin fermé, ménagé dans quelques cars, ou sur la plate-forme extérieure. Il y a aussi pour cela une voiture mixte à deux compartimens, l’un pour les bagages, l’autre pour les fumeurs. Certains cars sont réservés uniquement aux dames, aux ladies et à ceux qui les accompagnent ; c’est pourquoi sir Frédéric Bruce, qui fut longtemps ministre d’Angleterre en Amérique et qui était célibataire, ne voyageait jamais sans sa domestique. Il avait charge de lady, comme on dit là-bas, où la toilette ne distingue pas les rangs, et on lui offrait les meilleures places. S’il eût voyagé seul, on l’eût volontiers relégué dans le wagon des fumeurs, qui est sur toutes les lignes des États-Unis le plus sale, et le plus mal composé qu’on puisse voir.

Une journée passée en chemin de fer dans un des cars qu’on vient de décrire s’écoule vite et sans effort, parce que le voyageur y jouit de beaucoup de commodités, et n’y est pas emprisonné. Il peut se mouvoir à sa guise, admirer comme il l’entend le pays, aller, venir tout le long du train ; mais la nuit la fatigue commence, car il faut alors rester immobile, et elle est souvent intolérable. Les sièges n’ayant pas d’appui au-dessus des épaules, il est presque impossible de dormir, si ce n’est dans les positions les plus gênées, les plus contrariées. On se réveille à chaque instant et tout courbatu. C’est pour cette raison que les sleeping-cars ou wagons-dortoirs ont été de bonne heure imaginés aux États-Unis, où l’on répugnait auparavant à faire des voyages de nuit. Un des derniers constructeurs de ces voitures, ou pour mieux dire des inventeurs, M. Pullman, de Chicago, y a fait une très grande fortune. On le cite aux États-Unis comme un de ces self-made dont on est fier, un de ces hommes qui se sont faits tout seuls, et ont bien mérité de l’humanité par leurs travaux et leurs découvertes.

Qu’on se figure le car que nous venons de décrire, mais beaucoup plus élégant dans ses formes architecturales, dans sa décoration extérieure et intérieure, si bien qu’on l’appelle alors un palace ou un silver-car, une voiture-palais, une voiture d’argent. Le soir, l’espace entre chaque double siège se transforme en une couchette au moyen des dossiers mobiles qu’on enlève et qu’on rapproche horizontalement au niveau des deux places qui se font vis-à-vis. Sur cette couchette, on étend un matelas, on jette dessus un drap, un traversin, un oreiller, des couvertures, et voilà un lit improvisé. La couchette au-dessus est formée par la paroi latérale supérieure du car, laquelle est mobile autour de deux charnières, et soutenue horizontalement par deux petits câbles en fil de fer qui font fonction de haubans. On étend sur cette couchette, comme sur l’inférieure, la literie nécessaire ; un rideau, courant sur une tringle, isole les lits, qui rappellent un peu par leur disposition les cabines