Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/415

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jusqu’à lui ; puis faisant un retour sur la jeunesse obscure de l’auteur, réfléchissant aux obstacles qui semblaient lui fermer l’entrée de la carrière littéraire, on est forcé de convenir que le même sentiment de dignité morale qui soutenait son caractère au milieu des épreuves n’a pas peu contribué non plus à grandir son talent.

Enfant du pays basque, Trueba est né à Montellano, petit village de la commune de Galdames, dans les Encartaciones, — on désigne ainsi de temps immémorial toute la partie occidentale de la seigneurie de Viscaye, depuis Bilbao jusqu’à la province de Santander. D’après son acte de baptême, il serait venu au monde en 1819 ; pour lui, d’excellentes raisons le portent à croire qu’il naquit seulement deux ans plus tard. Chacun sait qu’en Espagne le livre de la paroisse, comme autrefois chez nous, tient lieu des registres de l’état civil ; par malheur les curés des petites localités rurales, chargés d’inscrire les naissances et les décès, ne s’acquittent pas toujours de ce soin avec assez d’exactitude. En rédigeant après coup et sur des notes détachées l’acte de baptême du jeune Antonio, on confondit son jour de naissance avec celui d’un frère du même nom qui l’avait précédé et dont il prit ainsi la place. Il était tout enfant encore lorsque, quittant Montellano, ses parens vinrent s’établir dans une petite maison qu’ils avaient aux environs de Sopuerta. C’étaient de simples cultivateurs, vivant comme leurs voisins de cette existence calme et laborieuse qui suffit au bonheur du paysan basque. Dans ces montagnes, plus que partout ailleurs, la moisson s’achète au prix de constans efforts et de dures fatigues. Les terres cultivables, situées souvent sur des pentes ardues, ne peuvent être travaillées qu’à la main ; les femmes elles-mêmes aident leurs maris et retournent la glèbe. Le soir, un pain grossier de maïs, des légumes et des fruits composent le repas de la pauvre famille ; mais, vienne le jour du repos, tout le village est en fête. Après la messe, les anciens se réuniront sur la place de l’église pour causer de la prochaine récolte et des affaires de la province ; de leur côté, les jeunes gens engageront une vaste partie de paume ou danseront avec leurs fiancées. Ainsi les années s’écoulent uniformément pour tous, dans une obscurité heureuse, et Trueba lui-même n’eût pas désiré d’autre sort ; mais les événemens approchaient déjà qui devaient changer le cours de sa vie et valoir à l’Espagne, selon son expression, un laboureur de moins et un poète de plus.

On était alors en 1836 ; depuis plus de deux ans, don Carlos, frère cadet de Ferdinand VII, avait pris ouvertement les armes pour soutenir ses prétendus droits à la couronne ; Basques et Navarrais, toute cette forte race de montagnards, entraînés les uns par l’esprit d’aventure, tremblant les autres pour leurs privilèges qu’on disait menacés, s’étaient déclarés en sa faveur contre la monarchie