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particulière aux hommes des montagnes. Il ne se décourageait point, travaillant nuit et jour à se faire connaître, écrivant partout où une place lui était ouverte, et en 1852 enfin il publiait son premier volume, le Livre des Chansons ; il avait alors une trentaine d’années.

Ce livre comprend un nombre de pièces assez considérable ; plusieurs proviennent d’essais antérieurs du poète ; pourtant on n’a pas de peine à saisir entre elles le lien qui les unit. Avant toute chose, elles sont écrites pour le peuple et du tour le plus simple, le plus familier. Trueba n’a frayé jamais qu’avec des gens d’humble condition ; ce sont leurs mœurs qu’il aime, leurs goûts qu’il partage, et il s’adresse à eux pour être compris. « Ne cherchez dans ce livre ni érudition, ni culture, ni art ; cherchez-y des souvenirs du cœur et rien de plus… Qu’entends-je au grec et au latin, aux préceptes d’Aristote et d’Horace ? Parlez-moi plutôt de ciel et de mer azurés, d’oiseaux et de moissons, d’arbres chargés de fruits ; parlez-moi des amours, des joies et des tristesses d’un peuple honnête et bon, et alors je vous comprendrai, car en dehors de là je ne connais rien… Bref, j’ai composé mes chansons comme j’ai pu, à la grâce de Dieu, ainsi que le peuple fait les siennes. » Peut-être, il est vrai, le poète fait-il ici trop bon marché de son talent ; quoi qu’il en dise, ce n’est point l’art qui fait défaut dans ces petits poèmes si vivement conduits, si bien composés. Le langage non plus n’est pas celui du peuple : le peuple d’ordinaire ne parle pas avec cette correction, ce bon goût, ce choix des termes et des images ; de tels vers ne sont pas seulement d’un improvisateur, ils portent la marque d’un écrivain, et, s’il avait pu les connaître, le vieux Vasco lui-même, le plus fameux chanteur de Montellano, se serait avoué vaincu.

Ce qui frappe aussi en lisant ce livre, c’est l’accent de mélancolie qui partout y est répandu ; l’auteur en effet n’a pu s’empêcher de faire plus d’un retour sur l’histoire de sa vie ; espérances de gloire non réalisées, amours trompés, chagrins d’absence, que de motifs de tristesse, hélas ! Mais cette tristesse n’a rien de sombre ni de chagrin ; pour se consoler n’a-t-il pas ses chansons ? « Les âmes comme la mienne embellissent jusqu’à la douleur, s’écrie-t-il, viens près de moi, et l’art que Dieu m’enseigna, je te l’enseignerai, et tu verras comme les cieux te paraîtront plus bleus, les prés plus fleuris, l’air plus parfumé, la vie plus agréable et moins triste la mort. » Quant aux sujets, comme les rhythmes eux-mêmes, ils sont encore assez variés : à la description du printemps et des joies qu’il amène succède le récit de Juan le soldat, un des héros de la guerre de l’indépendance, ou de charmantes scènes d’intérieur, simplement esquissées. Au fond, l’inspiration ne change pas. Trueba aime d’un égal amour la nature, la patrie, la famille, la religion ;