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étude de la littérature populaire pour savoir toute la malice qui se cache souvent sous ces apologues. Le peuple, ce grand enfant, aime surtout railler. Voyez-le chez nous, dans nos fabliaux, dans nos mystères, se venger de ses misères et de ses privations ; il s’égaie aux dépens de tous, des puissans de la terre et des saints du ciel ; pourvu qu’il rie, il est content et presque consolé. En Espagne aussi, quoique les esprits aient été longtemps contenus par la terreur du saint-office et du pouvoir absolu, cette tendance satirique du génie populaire, habilement saisie par Trueba, se trahit encore par plus d’un côté. Le prince et ses ministres, le clergé lui-même, ne sont pas toujours épargnés ; les magistrats, les médecins, les alcades, ont également leur tour. Quant aux personnages célestes, c’est de tous l’apôtre saint Pierre qui excite le plus de lazzis : sa calvitie, son humilité d’esprit, les défaillances dont parle l’Évangile, tout, jusqu’à ce rôle de portier qui lui est dévolu dans l’autre monde, aide à faire de lui un personnage comique et presque bouffon. Souvent aussi le peuple espagnol ne s’en prend qu’à lui-même et rit bénévolement de ses propres défauts ; avec ce gros bon sens qui caractérisait Sancho, il sait à l’occasion retourner sa besace : nous rentrons ici dans la satire purement morale, et plus d’un trait s’adresse aux femmes, comme de raison.

« Quand le Christ allait par le monde, guérissant les malades et ressuscitant les morts, une femme du peuple se présenta au-devant de lui, et l’ayant pris par un pan de sa robe :

— Seigneur, lui dit-elle les yeux tout en pleurs comme une Madeleine, faites-moi la grâce de ressusciter mon mari, qui est mort ce matin.

— Je ne puis m’arrêter, répondit le Seigneur, parce que je vais faire un grand miracle assez loin d’ici : je veux trouver une bonne mère de famille parmi toutes les femmes qu’on voit venir aux courses de taureaux. Enfin tout ira bien, si la mule suit son chemin. Voici du moins ce que je puis faire pour toi : mets-toi bien dans la tête que ton mari ressuscite, et ton mari ressuscitera.

« En effet, la femme se mit dans la tête que son mari devait ressusciter, et le mari ressuscita parce que les morts eux-mêmes ne peuvent résister aux volontés de leurs femmes. »

Sur ce terrain, la pente est glissante, et l’on est, ce semble, fatalement conduit à ces joyeux fabliaux, à ces histoires de haulte graisse où se plaisait le vieil esprit gaulois. Or Trueba sait s’arrêter à temps. Que ses récits aient tous une égale valeur et présentent le même intérêt, nous ne le dirons pas ; plusieurs sont simplement puérils, et ne méritaient pas d’être recueillis, d’autres demandaient à être plus finement traités ; du moins en aucun cas n’a-t-il cherché à provoquer le succès au détriment de la morale. Une seule fois,