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voiture, Elsie, j’ai pu te bâtir une maison, mais ce n’est pas moi qui t’ai faite ce que tu es. Tu es bien portante et jolie, et nouvelle, je le répète ; mais ce n’est pas mon œuvre. Non, non. Tu aurais pu être guérie grâce à moi, redevenir fraîche et heureuse grâce à moi, si je n’avais pas perdu cette maudite somme au jeu ; mais je l’ai perdue, et un autre a fait ce qu’il m’appartenait de faire. Je n’y peux rien.

Mme Decker leva ses yeux étonnés avec plus de candeur que jamais. Il l’embrassa tendrement et reprit d’une voix moins triste :

— Et je ne pensais pas à cela seulement, Elsie… Je pensais que tu reçois bien souvent ce M. Hamilton, non que j’y voie le moindre mal, mais cela pourrait faire causer le monde. Tu es la seule femme ici, mon Elsie, dit le maître charpentier, contemplant sa compagne avec une sorte d’idolâtrie, la seule femme dont on ne parle pas, que tous respectent…

Mme Decker l’interrompit pour lui reprocher de ne pas avoir parlé plus tôt. Elle y avait songé aussi, mais il lui avait paru difficile d’éconduire trop brusquement ce gentleman sans se faire de lui un ennemi, un ennemi puissant, ajouta-t-elle. — Et, Joe, il m’a toujours traitée comme une personne de son monde, comme une vraie grande dame, dit la petite femme en se redressant avec une fierté qui lui valut de la part de son mari un sourire orgueilleux, enivré.

— Mais j’ai mon plan. Il ne restera pas à San-Isabel, si je m’en vais. Pourquoi ne ferais-je pas, par exemple, une petite visite à maman, à San-Francisco ? Il serait parti lors de mon retour.

Le projet parut à M. Decker des plus sages. — Ce sera d’autant plus facile, dit-il, que Jack Oakhurst s’en retourne demain et que je pourrai le charger d’avoir soin de toi.

Mme Decker resta une semaine entière à San-Francisco. Elle en revint de bonne humeur, déclarant qu’elle avait passé le temps à courir la ville : — Maman te le dira, Joe, ajouta-t-elle gaîment, j’allais partout et toujours seule. Me voici devenue tout à fait indépendante. Je crois, ma parole, tant je suis brave, que je pourrais me passer de toi.

Mais son voyage n’avait pas produit le résultat qu’elle en attendait. M. Hamilton était resté, il rendit visite aux Decker le soir même.

Aussitôt qu’il les eut quittés : — J’ai à te proposer quelque chose, cher Joe, dit la douce Elsie. Ce pauvre M. Oakhurst est vraiment très mal logé à l’hôtel, et nous avons une chambre de trop. Il serait convenable peut-être de lui demander de l’occuper quand il sera de retour de San-Francisco.

La semaine suivante, Jack Oakhurst fut installé au chalet, et personne n’y trouva rien à redire. — Ses relations d’affaires avec