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caractère étranges, merveilleux, d’une saisissante beauté. Je recommande aussi le moment où le discours du docteur Marianus tourne à l’hymne ; cette transition, avec son accompagnement de harpes, est d’un prestige éblouissant ; plus tard quelle douceur béate, quelle infinie compassion dans son regard jeté sur les trois repenties implorant leur grâce ! La réplique au suraigu en quelques paroles sonores, éclatantes, de la glorieuse mère du Christ à la Samaritaine, à Marie l’Égyptienne, à Marguerite chantant en voix de soprano, est un trait de génie, un effet absolument grandiose obtenu par les moyens les plus simples. « Sauvé du mal et de l’enfer, le noble enfant du royaume des esprits ! » Dans la reprise de cette phrase et dans le dernier chœur mystique, le musicien était appelé à donner sa mesure, et ce que Schumann a produit là suffirait à sa gloire immortelle ! » Nous en avons dit assez pour être compris de ceux que les intérêts du grand art préoccupent ; si la Société des concerts hésitait, d’autres se montreraient moins difficiles, et, par exemple, pourquoi l’Opéra, tout le premier, ne prendrait-il pas en main cette affaire ? L’épilogue du Faust de Goethe mis en musique par Schumann, quel acte plus splendide à monter ? Il y a là en outre matière à décors, à costumes ; du spectacle et du pittoresque à perte de vue ! Donner cette scène en manière d’oratorio pendant la semaine sainte serait un coup de maître digne de tenter l’émulation du directeur actuel de l’Opéra.

Les représentations shakspeariennes de Rossi continuent d’attirer le monde à Ventadour. Pour les gens amoureux de l’intelligence et de ses plaisirs, rien de réjouissant comme cet enthousiasme qui grandit chaque jour. C’est l’histoire de Rachel et de ses débuts. Quelques-uns d’abord s’écrient, pleins d’admiration : Allez-y voir ! Alors arrivent les curieux et les dilettantes ; puis enfin c’est le public, le grand public qui paie et seul consacre. Le fait est qu’on vient là maintenant comme à Verdi. Vous avez devant vous une salle attentive, studieuse ; c’est le théâtre et un peu aussi la conférence. Dans les loges, à l’orchestre, chacun a dans la main son libretto : les uns vont de l’italien au texte anglais ; les autres, moins aguerris, ont le nez sur la version française ; mais soyez sûrs que tous profiteront de la leçon, même les plus informés. On n’imagine pas ce qu’un si curieux spectacle ouvre à l’esprit de points de vue nouveaux. Ainsi dans Roméo et Juliette, telles scènes de mœurs locales qui, représentées en anglais, passaient inaperçues, empruntent à la traduction italienne un relief tout à fait original : les figures du vieux Capulet, de sa femme et de la nourrice gagnent énormément à parler la langue du pays ; vous les voyez se mouvoir à l’aise, vivre de cette vie abondante, familière, loquace, tout en dehors, que Shakspeare, par la merveilleuse divination de son génie bien plus que par observation, leur a donnée. Une Anglaise de beaucoup d’esprit et de littérature nous