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Qu’était-ce que cette princesse Charlotte destinée alors au trône d’Angleterre et dont le prince Léopold allait devenir l’époux ? C’est ici que commencent les renseignemens intimes fournis par Stockmar, renseignemens qui complètent ou rectifient même sur bien des points les récits les plus sérieux de l’histoire contemporaine. On sait l’histoire du prince de Galles et de sa femme la princesse Caroline de Brunswick ; ces tristes aventures ont été le scandale de l’Angleterre pendant un quart de siècle. Ce qu’on sait moins bien, c’est l’histoire de leur fille, la princesse Charlotte, mariée en 1816 au prince Léopold de Cobourg et enlevée si douloureusement l’année suivante à l’affection de son mari, ainsi qu’aux espérances de l’Angleterre. Dans quelles circonstances avait été décidé ce mariage ? Quelle éducation la jeune princesse avait-elle reçue ? Quels étaient ses sentimens ? Quelle place a-t-elle occupée dans la vie de son époux ? Il n’y a que des mémoires intimes qui puissent nous renseigner sur ce point. La malheureuse princesse a passé si vite ! C’est à peine si elle a posé le pied sur les marches de ce trône où sa naissance l’appelait à s’asseoir en souveraine. Si qua fata aspera rumpas… Si la destinée lui eût été moins dure, combien de choses eussent été changées dans l’existence des dynasties royales du XIXe siècle ! Le sort ne l’a point voulu. La princesse Charlotte n’a fait que paraître et disparaître. Les annales de son pays ne connaissent d’elle que trois dates, sa naissance, son mariage, sa mort ; elle n’a pas eu le temps de laisser à l’histoire les élémens d’une physionomie distincte et reconnaissable. Essayons de mettre à profit les confidences du baron de Stockmar et de recomposer cette sympathique figure.

Les malheurs de la princesse Charlotte d’Angleterre ont commencé avec sa vie. Un jour, dans une conversation avec Stockmar, il lui arrivera de laisser échapper ces paroles : « ma mère a mal vécu, elle n’eût pas vécu si mal, si mon père n’eût vécu bien plus mal encore. » Ce père et cette mère dont elle ne pouvait guère parler autrement, c’étaient le prince de Galles, fils aîné de George III, et sa femme la princesse Caroline de Brunswick. Voilà le résumé de ses années d’enfance et de jeunesse ; atmosphère si douce du foyer domestique, caresses de la mère, émotions du père, sentimens toujours nouveaux de la vie de famille, autant de joies que connaissent les plus humbles et qui furent refusées à la princesse Charlotte.

Le prince de Galles était né le 12 août 1762. C’était une nature égoïste et violente ; il dissipa sa jeunesse en désordres effrénés. En menant la vie à outrance, il s’occupait aussi de politique, et dans les grandes luttes qui signalèrent le début du ministère de Pitt (1783), il se montra partisan passionné des whigs, beaucoup plus sans doute par esprit de révolte contre le roi son père que par