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On devine les mécomptes et les humiliations que lui réservait le prince de Galles, une fois sa passion assouvie. Un mariage secret de l’héritier du trône, quoique célébré selon les formes du culte anglican, était nul de plein droit, cela va sans dire. Mme Fitz-Herbert vit bientôt arriver le dernier chapitre de son roman[1]. Elle ne fut pas la seule dont le prince consomma la honte. Le voluptueux sans foi ni loi donna bien d’autres scandales à son pays, et lorsqu’il se résigna, dix ans après, à subir les liens d’un mariage régulier, ce ne fut pas chez lui désir de régler enfin sa vie et d’assurer la succession du trône ; il ne fit que céder à la contrainte de ses embarras financiers. Ses dettes s’élevaient à 600,000 livres, c’est-à-dire à 15 millions. Depuis longtemps le roi son père le pressait en vain de songer à une union digne de son rang. Parmi les princesses sur lesquelles la cour de Windsor avait jeté les yeux, il y en avait deux que des raisons de parenté désignaient plus particulièrement au choix de la famille royale. L’une était la princesse Louise de Mecklembourg, qui épousa plus tard le roi de Prusse Frédéric-Guillaume III, et devint la noble héroïne si justement chère aux Prussiens après leurs désastres de 1806 ; l’autre était la princesse Caroline de Brunswick. La première était la nièce de la reine, la seconde la nièce du roi. Si le prince de Galles avait pris son mariage au sérieux, son choix était dicté d’avance par des raisons décisives. Jeune, belle, comblée de tous les dons du cœur et de l’esprit, la princesse Louise n’eût pas été seulement le gracieux ornement du trône d’Angleterre, elle aurait certainement exercé l’influence la plus salutaire sur l’esprit désordonné du prince de Galles. Ce furent précisément cette grâce et cette élévation morale qui, bien loin d’attirer le prince, l’éloignèrent. Il n’était pas homme à se plier au noble joug de la vertu. La princesse Caroline de Brunswick avait vingt-sept ans, huit ans de plus que la princesse Louise ; elle ne brillait ni par les grâces de sa personne ni par la sûreté du caractère ; ce fut elle qu’il choisit. Faut-il croire avec sir George

  1. Il paraît pourtant que le prince de Galles, malgré son inconstance et ses désordres, resta longtemps sous le charme de Mme Fitz-Herbert. Mme Vigée-Lebrun raconte en ses Souvenirs que s’étant rendue à Londres en 1802, un peu avant la rupture du traité d’Amiens, elle avait été très bien reçue par le prince de Galles et mise à l’abri de toutes les vexations auxquelles des Français pouvaient être exposés pendant la guerre. Le prince de Galles voulait que la brillante artiste fit son portrait. Mme Vigée-Lebrun répondit à ce désir, elle raconte même les méchans propos qui coururent à ce sujet, le dépit et la mauvaise humeur des peintres de Londres, puis elle ajoute : « Dès que ce portrait fut terminé, le prince le donna à son ancienne amie Mme Fitz-Herbert Celle-ci le fit placer dans un cadre roulant, comme sont les grands miroirs de toilette, afin de pouvoir le transporter dans toutes les chambres qu’elle occupait, ce que je trouvai très ingénieux. » (Souvenirs de Mme Vigée-Lebrun, Paris 1869, t. II, p. 140.) Cela se passait en 1802, dix-sept ans après le mariage clandestin et illégal du prince de Galles avec Mme Fitz-Herbert.