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portefeuilles entre les « amis des paysans » que du jour où la loi l’y contraindra. Et l’événement a prouvé qu’ils voyaient juste, car depuis 1872, grâce à des coalitions, ils sont en majorité au folkethinff, et les ministères marchent d’échecs en échecs, sans que le roi se décide à choisir ses conseillers dans l’opposition.

Quelle fut la part que Grundtvig prit à ces événement ? quelle fut sa place au milieu des partis qui se disputaient le pouvoir ? Membre de l’assemblée nationale réunie pour préparer la constitution, puis représentant du peuple aux neuf premiers ; folkething, il était ce que l’on appelait un franc-tireur, siégeant où bon lui semblait et votant suivant sa conscience, sans être inféodé à aucun groupe. Son influence fut néanmoins considérable, et elle s’exerça toujours dans le sens le plus libéral. Homme d’une imagination vive et d’un caractère passionné, du jour où Grundtvig rompit avec la monarchie absolue, il apporta dans ses nouvelles opinions toute l’ardeur d’un néophyte ; il ne fut point libéral à demi. Dans son amour pour le peuple, il lui semblait qu’un gouvernement populaire serait le salut du Danemark. Plein d’idées généreuses, de droiture et de bonté, il jugeait les autres d’après lui. Il prêtait inconsciemment à ses compatriotes ses propres vertus, et, dans son optimisme d’honnête homme, il pensait que les affaires publiques seraient d’autant plus prospères que ses chers Danois pourraient développer plus librement leurs heureuses facultés. Telle était à peu près d’ailleurs la doctrine des économistes français du XVIIIe siècle. Pour les physiocrates, dont les idées confinent quelquefois à la philosophie de Pangloss, les hommes abandonnés à leurs instincts et suivant leurs penchans formeraient une société parfaite : une harmonie merveilleuse règne entre leurs besoins, leurs appétits, leurs passions. L’état, voulant leur imposer un frein inutile, est la cause de tout le mal social. « Laissez faire, laissez passer » est le premier et le dernier mot de cette école optimiste. Que la société périsse par excès de liberté, il se trouverait des docteurs Sangrado pour regretter qu’on n’en eût pas accordé davantage… Le bon Grundtvig ne s’arrêtait pas toujours à temps dans sa fougue libérale ; nous le verrons soumettre au parlement d’étranges propositions. Pourtant son patriotisme et ses convictions religieuses l’empêchaient le plus souvent de dépasser la mesure. Si dans une pièce de vers il a écrit ce distique, qu’on lui ai souvent reproché :


« Que la liberté soit notre mot d’ordre dans le Nord, liberté pour Lokis, et liberté pour Thor, »


(On sait que Lokis est la personnification du mal), il est vrai de dire qu’en l’écrivant il ne pensait pas exprimer une théorie politique. Les lignes qui suivent montreront qu’au contraire il savait être