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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/577

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l’agitation populaire devenait de jour en jour plus menaçante. Le 7 et le 8 juin, dès la nomination du comité secret, dès la première protestation de la reine, 10,000 individus se portèrent vers la demeure de l’alderman Wood, remplissant South Audley-street et les rues environnantes. Ils forçaient les passans à se découvrir sous les fenêtres de la reine ; le soir, ils demandaient aux habitans voisins d’illuminer leurs maisons, et, quand on s’y refusait, ils brisaient les vitres à coups de pierre. Quelques-uns même s’apprêtaient à marcher sur Carlton-house ; si d’habiles dispositions stratégiques n’eussent été prises vigoureusement par les troupes, George IV eût été attaqué dans son palais. On arrêta quelques-uns des plus furieux, mais comment empêcher des manifestations auxquelles prenaient part des hommes de tous les rangs ? Comment étouffer ce cri qui retentissait de toutes parts : Queen Caroline for ever ! Ce soulèvement de la ville de Londres aurait dû faire comprendre au roi la nécessité d’une solution pacifique et l’engager à n’y mettre aucune entrave. Il ne comprit rien, il ne voulut rien voir ni rien entendre. Les rudes avertissemens de l’opinion n’eurent pas plus de prise sur cette âme hautaine que les sages paroles de ses conseillers. Il suivait sa passion en aveugle. Une lettre de lord Eldon à sa fille citée par lord Campbell nous, apprend que, dans les conférences du foreign office, les représentans de George IV, obéissant à ses ordres, montrèrent bien plus d’acharnement que les représentans de la reine. La reine ne voulait que sauver son honneur ; elle eût quitté l’Angleterre sans esprit de retour, à la condition que son nom fût rétabli dans les prières publiques et que le gouvernement anglais l’introduisît officiellement auprès des cours étrangères. Quant au roi, indifférent aux clauses pécuniaires, il tenait absolument à déshonorer la reine. « Demain, écrivait lord Eldon à la veille des conférences, demain sera un jour terrible, si la reine fait quelque proposition d’arrangement. Le roi n’en fera aucune, et, s’il trouve un ministère qui veuille jusqu’au dernier instant soutenir la lutte à tout risque, il n’en recevra aucune[1]. »

C’est donc la guerre désormais, une guerre à outrance. Les négociations du foreign office avaient été rompues le 19 juin, et ce même jour lord Castlereagh s’était hâté d’en communiquer les procès-verbaux à la chambre des communes. Au moment de voir s’engager sans rémission la scandaleuse bataille, la chambre tenta un suprême effort pour l’arrêter. Sur une proposition de M. Wilberforce, elle décida qu’une députation serait envoyée à la reine pour la supplier de relâcher quelque chose de ses conditions. Vainement M. Brougham avait-il répondu que la reine ne pouvait plus

  1. Lord Campbell, Life of lord Eldon, dans le septième volume des Lives of the lord chancellors, p. 364.