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l’Espagne, à l’Angleterre, dicta des conditions à Louis XIV, et sans laquelle ni Guillaume, ni Maurice, ni les grands-pensionnaires, n’eussent été rien.

Demain matin à dix heures, quelques pèlerins iront frapper à la porte du musée. A la même heure, il n’y aura personne dans le Binnenhof, ni dans le Buitenhof, et personne, j’imagine, n’ira visiter la Salle des chevaliers où il y a tant d’araignées, ce qui veut dire tant d’ordinaire solitude. En admettant que la renommée, qui nuit et jour veille, dit-on, sur les gloires, descende ici et se pose quelque parti où pensez-vous qu’elle arrête son vol ? Et sur lequel de ces palais replierait-elle ses ailes d’or, ses ailes fatiguées ? Est-ce sur le palais des états ? Est-ce sur la maison de Potter et de Rembrandt ? Quelle singulière distribution de faveurs, d’oublis ! Pourquoi tant de curiosité pour un tableau et si peu d’intérêt pour une grande vie publique ? Il y eut ici de forts politiques, de grands citoyens, des révolutions, des coups d’état, des supplices, des martyres, des controverses, des déchiremens, tout ce qui se rencontre à la naissance d’un peuple, lorsque ce peuple appartient à un autre peuple dont il se détache, à une religion qu’il transforme, à un état politique européen dont il se sépare, et qu’il semble condamner par ce fait seul qu’il s’en sépare. Tout cela, l’histoire le raconte ; le pays s’en souvient-il ? Où trouvez-vous les échos vivans de ces émotions extraordinaires ? A la même époque, un tout jeune homme peignait un taureau dans un pâturage ; un autre, pour être agréable à un médecin de ses amis, le représentait dans une salle de dissection entouré de ses élèves, le scalpel dans le bras d’un cadavre. Par cela, ils donnaient l’immortalité à leur nom, à leur école, à leur siècle, à leur pays.

A qui donc appartient notre reconnaissance ? À ce qu’il y a de plus digne, à ce qu’il y a de plus vrai ? Non. À ce qu’il y a de plus grand ? Quelquefois. À ce qu’il y a de plus beau ? Toujours. Qu’est-ce donc que le beau, ce grand levier, ce grand mobile, ce grand aimant, on dirait le seul attrait de l’histoire ? Serait-il plus près que quoi que ce soit de l’idéal où malgré lui l’homme a jeté les yeux ? Et le grand n’est-il si séduisant que parce qu’il est plus aisé de le confondre avec le beau ? Il faut être très avancé en morale ou très fort en métaphysique pour dire d’une bonne action ou d’une vérité qu’elles sont belles. Le plus simple des hommes le dit d’une action grande. Au fond, nous n’aimons naturellement que ce qui est beau. Les imaginations y tournent, les sensibilités en sont émues, tous les cœurs s’y précipitent. Si l’on cherchait bien ce dont l’humanité considérée en masse s’éprend le plus volontiers, on verrait que ce n’est pas ce qui la touche, ni ce qui la convainc, ni ce qui l’édifie ; c’est ce qui la charme ou ce qui l’émerveille.