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duels ; de tout cela, que nous montrez-vous ? Pas mal de libertinages, des soûleries, des grossièretés, des paresses sordides, des gens qui s’embrassent comme s’ils se battaient, et par-ci par-là des coups de poing et des coups de sabot échangés dans les exaspérations du vin et de l’amour. Vous aimez les enfans : on les fesse, ils crient, font des malpropretés dans les coins, et voilà vos tableaux de famille.

Comparez les époques et les pays. Je ne parle pas de l’école allemande contemporaine ni de l’école anglaise, où, tout est sujet, finesse, intention, comme dans le drame, la comédie, le vaudeville, où la peinture est trop imprégnée de littérature, puisqu’elle ne vit que de cela et qu’aux yeux de certaines gens même elle en meurt ; mais prenez un livret d’exposition française, lisez les titres, des tableaux, et jetez les yeux sur le catalogue d’un musée d’Amsterdam et de La Haye. En France, toute toile qui n’a pas son titre et qui par conséquent ne contient pas un sujet risque fort de ne pas être comptée pour une œuvre ni conçue ni sérieuse. Et cela n’est pas d’aujourd’hui, il y a cent ans que cela dure. Depuis le jour où Greuze imagina la peinture sentimentale, et, aux grands applaudissemens de Diderot, conçut un tableau comme on conçoit une scène de théâtre et mit en peinture les drames bourgeois de la famille, à partir de ce jour-là que voyons-nous ? La peinture de genre a-t-elle fait autre chose en France qu’inventer des scènes, compulser l’histoire, illustrer les littératures, peindre le passé, un peu le présent, fort peu la France contemporaine, beaucoup les curiosités des mœurs ou des climats étrangers ? Il suffit de citer des noms pour faire revivre une longue série d’œuvres piquantes ou belles, éphémères ou toujours célèbres, signifiant toutes quelque chose, représentant toutes des faits ou des sentimens, exprimant des passions ou racontant des anecdotes, ayant toutes leur personnage principal et leur héros : Granet, Bonington, Léopold Robert, Delaroche, Ary Scheffer, Roqueplan, Decamps, Delacroix, et je m’arrête aux morts. Rappelez-vous les François Ier, les Charles-Quint, le Duc de Guise, Mignon, les Marguerite, le Lion amoureux, le Van-Dyck à Londres, toutes les pages empruntées à Goethe, à Shakspeare, à Byron, à Walter Scott, à l’histoire de Venise, — les Hamlet, les Yorick, les Macbeth, les Méphistophélés, les Polonius, les Giaour, les Lara, et Goetz de Berlichinguen, le Prisonnier de Chillon, Ivanhoe, Quentin-Durward, l’Évêque de Liège, et puis les Fos-ari, Marino Faliero, et aussi la Barque de Don Juan, et encore l’Histoire de Samson, les Cimbres, précédant les curiosités orientales. Et depuis, si nous dressions la liste des tableaux de genre qui nous ont, année par année, charmés, émus, frappés, depuis les scènes d’inquisition, le Colloque de Poissy, jusqu’au