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Ce n’est pas la plus vaste des toiles de Paul Potter ; mais c’est du moins la seule de ses grandes toiles qui mérite une attention sérieuse. La Chasse à l’ours du musée d’Amsterdam, à la supposer authentique, même en la dégageant des repeints qui la défigurent, n’a jamais été qu’une extravagance de jeune homme, la plus grosse erreur qu’il ait commise. Le Taureau n’a pas de prix. En l’estimant d’après la valeur actuelle des œuvres de Paul Potter, personne ne doute que, mis en vente, il n’atteignît aux enchères de l’Europe un chiffre fabuleux. Est-ce donc un bon tableau ? Nullement. Mérite-t-il l’importance qu’on y attache ? Sans contredit. Paul Potter est donc un très grand peintre ? Très grand. S’ensuit-il qu’il peigne aussi bien qu’on le suppose ? Pas précisément. Il y a là un malentendu qu’il est bon de faire disparaître.

Le jour où s’ouvriraient les enchères fictives dont je parle, et par conséquent où l’on aurait le droit de discuter sans nul égard les mérites de cette œuvre fameuse, si quelqu’un se risquait à faire entendre la vérité, il pourrait dire à peu près ce qui suit :

« La réputation du tableau est à la fois très surfaite et très légitime : elle tient à une équivoque. On le considère comme une page de peinture hors ligne, et c’est une erreur. On croit y voir un exemple à suivre, un modèle à copier où des générations ignorantes peuvent apprendre les secrets techniques de leur art. En cela, on se trompe encore et du tout au tout. L’œuvre est laide et n’est pas conçue, la peinture est monotone, épaisse, lourde, blafarde et sèche. L’ordonnance est des plus pauvres. L’unité manque à ce tableau qui commence on ne sait où, ne finit pas, reçoit la lumière sans être éclairé, la distribue à tort et à travers, échappe de partout et sort du cadre, tant il semble peint à fleur de toile. Il est trop plein sans être occupé. Ni les lignes, ni la couleur, ni la disposition de l’effet, ne lui donnent ces conditions premières d’existence, indispensables à toute œuvre un peu ordonnée. Par leur taille, les animaux sont ridicules. La vache fauve à tête blanche est construite avec une matière dure. La brebis et le bélier sont moulés dans le plâtre. Quant au berger, personne ne le défend. Deux seules parties de ce tableau semblent faites pour s’entendre, le grand ciel et le vaste taureau. Le nuage est bien à sa place : il s’éclaire où il faut et se colore de même où il convient d’après les besoins de l’objet principal, dont il a pour but d’accompagner ou de faire valoir les reliefs. Par une sage entente de la loi des contrastes, le peintre a bien dégradé les couleurs claires et les nuances foncées de l’animal. La partie la plus sombre s’oppose à la partie claire du ciel, et ce qu’il y a de plus énergique et de plus fouillé dans la bête à ce qu’il y a de plus limpide dans l’atmosphère ; mais c’est à peine un mérite,