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plante, c’est ce qu’on ne saurait absolument nier a priori. La manière dont le chloroforme et d’autres anesthésiques agissent sur des organes de plantes dites irritables semblerait même faire soupçonner chez ces plantes quelque chose qui correspondrait dans ses effets au système nerveux des animaux ; mais, bien que les droséracées doivent tenir un très haut rang entre les végétaux impressionnables, certains poisons spéciaux des nerfs, comme le venin du serpent à lunettes et de la vipère, n’ont pas altéré la motilité des tentacules du drosera ; d’autres poisons, plus spéciaux aux nerfs des muscles, tels que la vératrine, la colchicine, n’ont agi ni comme poisons ni comme agens d’incurvation de ces mêmes organes motiles ; la morphine, l’atropine, n’ont produit dans ce cas aucun effet sensible ; le camphre en solution a singulièrement excité la motilité des tentacules ; en vapeur au contraire, il a joué le rôle d’un narcotique. Du reste, les nombreuses expériences faites par Darwin sur le drosera au moyen d’acides, d’alcalis, d’alcaloïdes, de sels minéraux ou organiques variés, présentent trop de diversité dans leurs résultats pour que l’on puisse encore en rien conclure de très net. Tout l’arsenal de la chimie, de la pharmacie a été mis en réquisition pour ces essais ; mais il faudra bien du temps encore pour que les conclusions de cette étude physiologique puissent se condenser en quelques formules simples et précises.

En attendant, si la dignité d’une plante dans l’échelle comparative de la vie se mesurait à la vivacité des mouvemens, la dionée ne serait pas seulement un merveilleux appareil de chasse aux insectes, ce serait la rivale de la sensitive par les phénomènes d’une irritabilité presque animale. Des facultés digestives augmentent encore l’assimilation des droséracées aux vrais animaux. Constatons cette analogie sans vouloir en exagérer la portée ni trop en préjuger la véritable signification. La sensibilité proprement dite suppose une perception de plaisir ou de douleur qu’on ne saurait accorder sans preuves à la plante la plus irritable. La vie du végétal, même dans sa manifestation la plus haute, ne doit guère dépasser ce degré d’automatisme et de mouvement réflexe qui, chez les animaux sarcodiques, s’accuse par des contractions, des expansions de la substance homogène, des formations de cavités digestives temporaires, sous l’influence directe du contact de la proie avec la surface du corps : l’intelligence, la volonté, sont évidemment les attributs d’organismes dans lesquels la pulpe nerveuse se dessine en filets et en masses définies : or, sous ce rapport, le tissu des droséracées n’offre aucune particularité saisissable qui distingue ces plantes du commun des végétaux.