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printemps est sans doute encore l’inconnu ; c’est le secret de toutes ces complications qui voyagent sans cesse à la surface de l’Europe. Pour le moment du moins, la diplomatie semble mettre tout son zèle à garantir la paix de l’Occident en essayant de rétablir la paix de l’Orient. Le meilleur moyen était encore de s’entendre, d’organiser cette action plus ou moins collective qui se résume aujourd’hui dans l’adoption de la note préparée par le cabinet de Vienne, par le comte Andrassy. Cette note, elle a été d’abord concertée entre l’Autriche, la Russie et l’Allemagne ; elle a été communiquée ensuite à la France, à l’Italie et à l’Angleterre pour devenir le point de départ commun des démarches qu’on se proposait de faire à Constantinople. Il a pu y avoir des nuances dans la manière dont la note du comte Andrassy a été accueillie à Paris, à Rome et à Londres ; au fond, les dispositions ne peuvent être sensiblement différentes, et, si l’adhésion officielle de l’Angleterre ne date que de ces jours derniers, elle ne pouvait guère être douteuse, elle était dans la logique de la situation. L’Angleterre a peut-être ressenti quelque humeur de se voir dans la nécessité de sanctionner le résultat d’une délibération diplomatique à laquelle elle n’avait pas directement coopéré ; mais en même temps elle n’a pu se dissimuler que par un refus elle allait encourager la Turquie à résister aux représentations de la diplomatie européenne, et elle prenait jusqu’à un certain point la responsabilité de cette résistance. Elle acceptait dès lors le rôle d’antagoniste de la politique concertée entre les trois empires du nord, et au lieu d’apaiser la question elle l’aggravait et la compliquait. Elle se plaçait dans l’alternative de s’effacer complètement, de laisser faire, ou de se trouver engagée beaucoup plus qu’elle ne le voulait. L’adhésion anglaise, même mitigée par certaines réserves, enlève au gouvernement turc tout espoir d’un appui sérieux et direct dans ses velléités de résistance ; elle le laisse seul en face de l’Europe disposée à soutenir en commun les principales propositions de réformes formulées dans la note du comte Andrassy. Évidemment le cabinet turc aurait pu essayer encore d’éluder et de temporiser, s’il s’était trouvé en présence d’une Europe coupée en deux. Que peut-il répondre sérieusement aujourd’hui ? Il n’a pas même la raison de la force et du succès. Depuis près d’un an, il en est à se débattre contre une insurrection qu’il ne peut ni vaincre ni désarmer par ses concessions. Comment pourrait-il repousser les moyens de médiation ou de pacification qu’on lui offre et invoquer une indépendance qui ne se manifeste que par l’impuissance de ses armes et par une sorte de banqueroute vis-à vis de ses créanciers européens ?

Après cela, il est bien certain que l’acceptation de la note autrichienne par la Turquie ne résout rien, que le problème reste entier, que la difficulté est toujours d’obtenir la soumission de l’Herzégovine, de donner un caractère de réalité aux réformes qu’on propose à Constantinople.