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était favorable à l’opinion de Cuvier : elle enseignait que la terre avait été le théâtre de grandes révolutions, de cataclysmes épouvantables dans lesquels tous les êtres créés avaient péri. Le déluge biblique, origine première de ces idées préconçues, était un exemple et une preuve de ces cataclysmes. Il y a plus : le soulèvement des montagnes, attesté par le redressement et le contournement des couches déposées d’abord horizontalement au fond de la mer, apparaissait aux yeux des géologues comme un phénomène violent et subit comparable à un changement à vue sur la scène de l’Opéra lorsque les montagnes surgissent au coup de sifflet du machiniste. Ces soulèvemens semblaient être la cause de cataclysmes périodiques entraînant la destruction de tous les animaux et de tous les végétaux existant alors. La science moderne a fait justice de toutes ces suppositions. Éclairée par la physique du globe et la paléontologie, l’histoire de la terre nous enseigne que notre globe n’a pas été le théâtre de révolutions périodiques. Ses archives, représentées par les différentes couches qui composent l’écorce terrestre, renferment les débris d’une succession d’animaux et de végétaux commençant par les organismes les plus simples et se terminant par les plus complexes. Semblables aux inscriptions et aux médailles sur lesquelles s’appuie la chronologie de l’histoire, ils nous dévoilent la progression des êtres depuis les terrains les plus anciens jusqu’aux plus modernes. La continuité avec les espèces actuellement vivantes ne saurait être niée désormais : il n’y a pas d’hiatus dans la création.

Donnons d’abord quelques exemples empruntés à la botanique. Dans nos jardins et dans nos bois, nous sommes entourés de végétaux qui vivaient aux époques géologiques antérieures à l’époque moderne. Deux espèces d’érables[1], le hêtre, le sapin argenté, le noyer d’Amérique à feuilles cendrées, le grenadier, l’arbre de Judée, le laurier-rose, les pistachiers lentisque et térébinthe, l’arbre aux quarante écus[2], existaient déjà pendant l’époque tertiaire. Le climat de cette époque ayant été plus chaud que celui de la nôtre, on les retrouve à l’état fossile dans des localités où ils ne pourraient plus vivre actuellement : le grenadier aux environs de Lyon, le laurier des Canaries en Provence, le gincko au Spitzberg, en Sibérie et au Groenland, à des latitudes où aucun arbre ne peut résister actuellement à la violence des vents et aux rigueurs de l’hiver. On a retrouvé le même arbre à l’état fossile près de Sinigaglia en Italie. Ainsi donc le gincko, qui date de l’époque jurassique,

  1. Acer opulifolium, A. monspessulanum.
  2. Gincko biloba.