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et l’ingénieuse habitude de placer dans ce bain de lumière et d’or, des bateaux, des villes, des chevaux et des cavaliers, le tout dessiné comme on le sait, quand Cuyp est de tous points excellent. Son modelé, pour être des plus savans lorsqu’il l’applique soit à des végétations, soit à des surfaces aériennes, n’offre pas les difficultés extrêmes du modelé humain de Terburg ou de Metzu. Si éprouvée que soit la sagacité de son œil, elle est moindre en raison des sujets qu’il traite. Quel que soit le prix d’une eau qui remue, d’un nuage qui vole, d’un arbre buissonneux que le vent tourmenté, d’une cascade s’écroulant entre des rochers, tout cela, lorsqu’on songe à la complication des entreprises, au nombre des problèmes, à leur subtilité, ne vaut pas, quant à la rigueur des solutions, l’Intérieur galant de Terburg, la Visite de Metzu, l’Intérieur hollandais de Pierre de Hooch, l’École et la Famille d’Ostade qu’on voit au Louvre, ou le merveilleux Metzu du musée Van-der-Hoop, d’Amsterdam. Ruysdael ne montre aucun esprit, et, sous ce rapport également, les maîtres spirituels de la Hollande le font paraître un peu morose. A le considérer dans ses habitudes normales, il est simple, sérieux et robuste, très calme et grave, assez habituellement le même, à ce point que ses qualités finissent par ne plus saisir tant elles sont soutenues ; et devant ce masque qui ne se déride guère, devant ces tableaux presque d’égal mérite, on est quelquefois confondu de la beauté de l’œuvre, rarement surpris. Telles marines de Cuyp, par exemple le Clair de lune du musée Six, sont des œuvres de primesaut, absolument imprévues, et font regretter qu’il n’y ait pas chez Ruysdael quelques saillies de ce genre. Enfin sa couleur est monotone, forte, harmonieuse et peu riche. Elle ne varie que du vert au brun ; un fond de bitume en fait la base. Elle a peu d’éclat, n’est pas toujours aimable et, dans son essence première, n’est pas de qualité bien exquise. Un peintre d’intérieur raffiné n’aurait pas de peine à le reprendre sur la parcimonie de ses moyens, et jugerait quelquefois sa palette par trop sommaire.

Avec tout cela, malgré tout cela, Ruysdael est unique : il est aisé de s’en convaincre au Louvre, d’après son Buisson, le Coup de soleil, la Tempête, le Petit Paysage (n° 474). J’en excepte la Forêt, qui n’a jamais été très belle, et qu’il a compromise en priant Berghem d’y peindre des personnages. A l’exposition rétrospective faite au profit des Alsaciens-Lorrains, on peut dire que Ruysdael régnait avec une souveraineté manifeste, quoique l’exposition fût des plus riches en maîtres hollandais et flamands, car il y avait là Van Goyen, Wynants, Paul Potter, Cuyp, Van de Velde, Van der Neer, Van der Meer, Hals, Teniers, Bol, Salomon Ruysdael, Van der Heyden avec deux œuvres sans prix. J’en appelle aux souvenirs de tous ceux pour qui cette exposition d’œuvres excellentes fut un trait de