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opérés ! Moins de raideur d’un côté, plus d’audace de l’autre, des modes nouvelles, des toiles moins vastes, le besoin de plaire et de se plaire, la vie de campagne qui ouvre bien des yeux, tout cela a mêlé les genres, transformé les méthodes. On ne saurait dire à quel point le grand jour des champs, entrant dans les ateliers les plus austères, y a produit de conversions et de confusions.

Le paysage fait tous les jours plus de prosélytes qu’il ne fait de progrès. Ceux qui le pratiquent exclusivement ne sont pas plus habiles ; mais il est beaucoup plus de peintres qui s’y exercent. Le plein air, la lumière diffuse, le vrai soleil, prennent aujourd’hui, dans la peinture et dans toutes les peintures, une importance qu’on ne leur avait jamais reconnue, et que, disons-le franchement, ils ne méritent point d’avoir. Toutes les fantaisies de l’imagination, ce que l’on appelait les mystères de la palette à l’époque où le mystère était un des attraits de la peinture, cèdent la place à l’amour du vrai absolu et du textuel. La photographie quant aux apparences des corps, l’étude photographique quant aux effets de la lumière, ont changé la plupart des manières de voir, de sentir et de peindre. A l’heure qu’il est, la peinture n’est jamais assez claire, assez nette, assez formelle, assez crue. Il semble que la reproduction mécanique de ce qui est soit aujourd’hui le dernier mot de l’expérience et du savoir, et que le talent consiste à lutter d’exactitude, de précision, de force imitative avec un instrument. Toute ingérence personnelle de la sensibilité est de trop. Ce que l’esprit imaginait est tenu pour artifice, et tout artifice, je veux dire toute convention, est proscrit d’un art qui ne devrait être qu’une convention. De là, comme vous vous en doutez, des controverses dans lesquelles les élèves de la nature ont le nombre pour eux. Même il existe des appellations méprisantes pour désigner les pratiques contraires. On les appelle le vieux jeu, ce qui veut dire une façon vieillotte, radoteuse et surannée de comprendre la nature en y mettant du sien. Choix des sujets, dessin, palette, tout participe à cette manière impersonnelle de voir les choses et de les traiter. Nous voilà loin des anciennes habitudes, je veux dire des habitudes d’il y a quarante ans, où le bitume ruisselait à flots sur les palettes des peintres romantiques et passait pour être la couleur auxiliaire de l’idéal. Il y a une époque et un lieu dans l’année où ces modes nouvelles s’affichent avec éclat : c’est à nos expositions du printemps. Pour peu que vous vous teniez au courant des nouveautés qui s’y produisent, vous remarquerez que la peinture la plus récente a pour but de frapper les yeux des foules par des images saillantes, textuelles, aisément reconnaissables en leur vérité, dénuées d’artifices, et de nous donner exactement les sensations de ce que nous voyons dans la rue. Et le public est tout disposé à fêter un art qui représente avec tant de