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sous les ordres du général Wolfe. Cet officier, qui devait s’illustrer par la victoire qu’il remporta sous les murs de Québec, était très connu et estimé dans l’armée pour plusieurs faits d’armes très brillans. C’était un grand bel homme, mince et bien fait, avec des yeux bleus qui dénotaient plus de vivacité que de pénétration. A peine la nouvelle recrue était-elle arrivée au régiment qu’il lui demanda combien son père lui allouait de pension, et, apprenant qu’elle ne dépassait pas 600 livres par an, il lui conseilla tout de suite d’emprunter pour faire face aux obligations de sa nouvelle position et de distribuer sa paie aux officiers malheureux. Le général ne se borna pas à recommander au jeune officier ces manières larges et généreuses, il s’attacha à élargir ses idées, à lui ouvrir l’esprit ; il lui fit lire non-seulement des ouvrages traitant de l’art militaire, mais aussi des livres de philosophie, il lui inspira le goût des lettres et lui communiqua sur toutes choses des sentimens vraiment libéraux. Malheureusement Shelburne ne put obtenir l’autorisation de l’accompagner en Amérique, et après son départ il fut attaché à la personne du général Clerke, qui reporta sur lui une partie de l’affection que lui avait vouée Wolfe. Après avoir fait partie de l’expédition contre Rochefort, il servit dans la guerre d’Allemagne, sous le prince de Brunswick, et se distingua à la bataille de Minden et dans la retraite qui suivit l’échec du prince héréditaire à Closter-Camp. De retour en Angleterre, il reçut la récompense de sa bravoure ; il fut promu au grade de colonel et désigné pour être un des aides-de-camp du roi, au grand scandale des courtisans et des amis du duc de Newcastle, qui s’alarmaient de l’arrivée à la cour de ces nobles de campagne, parmi lesquels l’opposition avait recruté ses plus vigoureux champions.

Avant d’entrer dans le récit des événemens parlementaires auxquels il a été mêlé et de raconter les diverses anecdotes qu’il a recueillies sur les personnages éminens qui l’ont précédé dans les conseils du gouvernement, lord Shelburne se demande pourquoi la monarchie constitutionnelle s’est acclimatée en Angleterre et a réussi. Il ne se laisse pas éblouir par le tableau lumineux que Montesquieu a tracé dans l’Esprit des lois de la constitution de son pays. En véritable Anglais, en homme d’état qui connaît tous les détours et les surprises de la vie parlementaire, il cherche dans les faits l’explication de cette grandeur, de cette sécurité, de ce bonheur, en un mot, dont l’Angleterre a joui depuis la révolution de 1688. Si la dynastie de Hanovre n’a pas repris les erremens familiers aux rois, si elle n’a pas rétabli les prérogatives, les immunités royales et usurpé le pouvoir que la nation avait racheté à si grand prix, l’honneur n’en revient pas à ce système savant de freins