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le poste de premier lord de la trésorerie, avec la mission de conduire les débats dans la chambre des communes. Fox ne se laissa pas tenter par cette insinuation de son ancien ami ; il repoussa vivement cette ouverture, comme il avait refusé déjà d’entrer dans le cabinet en qualité de garde des sceaux. Tout en devenant le leader des communes, Fox conserva sa place de payeur général. Les cupides ressemblent aux dévots, ils savent toujours découvrir des accommodemens pour ne pas lâcher leur proie. Il prétendit que c’était un devoir pour lui de ne pas sacrifier les intérêts de ses amis, de ses employés, que l’on répandait déjà le bruit qu’il avait reçu une grosse somme d’argent pour défendre le traité de paix, et que, s’il donnait sa démission de payeur général, on ne manquerait pas de s’écrier que c’était pour masquer un marché honteux, et que ce serait confirmer indirectement ce bruit outrageant. Tant il est vrai que, lorsqu’un homme politique a mauvaise renommée, tous ses actes sont interprétés dans un sens fâcheux pour son honneur.


« M. Fox, dit Shelburae, était un homme d’affaires d’une haute capacité, d’une activité extraordinaire ; esprit net, pénétrant, il ne manquait ni d’assurance, ni de décision dans ses rapports avec les hommes. Il avait appartenu dans les commencemens au parti tory. Son ambition avait le caractère de l’âge moderne, étroite, intéressée, en un mot l’ambition des places qui avait la cour pour objet et la corruption pour moyen. « Je vous donnerai tant et vous me donnerez ceci en échange, et nous nous moquerons du public. » Il avait tellement l’habitude de ces marchés qu’il considérait tout autre raisonnement comme une perte de temps, ou comme un signe certain de folie ou de la plus grande fourberie. « Tout homme, disait-il, est honnête ou malhonnête selon le sentiment de celui qui en parle ; tout homme est rusé, Dieu l’a fait ainsi et lui a donné la ruse au lieu de la force ; seulement l’un met sa ruse à tromper des assemblées publiques, un autre des particuliers, des femmes… » Pour lui, l’esprit public était l’esprit d’une faction, c’était là son credo politique ; mais il payait ce dédain de l’opinion par une certaine pour du public, car il avait le sentiment qu’on ne peut pas acheter le concours de tout le monde, et qu’une collaboration ainsi acquise est toujours incertaine. Orgueilleux plus qu’on ne peut dire, envieux jusqu’à l’amertume, rancuneux, ce qui s’accorde bien avec ses autres qualités, si l’on y prend garde, et ce que sa vie a bien mis en lumière, il était du reste extraordinairement sagace et pénétrant. »


Ce portrait, tracé longtemps après les événemens, probablement dans le courant de l’année 1803, se ressent un peu du changement qui se produisit dans les relations de Shelburne avec Fox et que nous aurons à raconter. Quoi qu’on puisse penser de Fox, c’était un