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Mémoires, insinue que Shelburne convoitait cette place ; mais la grande fortune de Shelburne l’élève au-dessus de ce soupçon, et il donnait à ce même moment la preuve de son désintéressement en refusant la place de secrétaire d’état et de président du comité du commerce (Board of trade). Les ennemis de Shelburne se sont emparés de cet incident pour l’accuser de duplicité, et ils ont prétendu qu’il avait dépassé Fox, le type de l’homme rusé. Préoccupé de défendre des intérêts contraires, jaloux de conserver au gouvernement l’appui d’un défenseur comme Fox, Shelburne a peut-être atténué ou exagéré quelqu’une des expressions de ses divers interlocuteurs ; d’un côté il faisait espérer au roi que Fox donnerait sa démission, et, quand il causait avec celui-ci, il passait légèrement sur l’importance que le roi et son ministère attachaient à la résignation de son emploi. Bute accepta les justifications de Shelburne et ne lui retira pas sa confiance. Il essaya de calmer l’irritation de Fox, et, faisant allusion aux bonnes intentions du négociateur, il qualifia l’inexactitude qu’on lui reprochait de fraude pieuse, à quoi Fox répliqua vivement « qu’il voyait bien la fraude, mais qu’il cherchait en vain la piété. » Après une entrevue avec le roi, dans laquelle il témoigna assez d’aigreur, Fox finit par obtenir ce qu’il désirait ; il devint lord Holland et resta payeur général jusqu’en 1765. Cette satisfaction ne suffit pas à désarmer son ressentiment, et, quoiqu’il eût déclaré que Shelburne et lui resteraient bons amis, la rupture fut complète ; il ne cessa pas de parler de Shelburne dans les termes les plus outrageans.

Malgré la joie bruyante avec laquelle le parti de la cour accueillit le vote de la paix, la prérogative royale n’avait pas encore vaincu, et les parlementaires n’étaient pas contraints de se rendre à merci. Tout à coup lord Bute fut saisi, au milieu de son triomphe, par un de ces mouvemens de lassitude et d’effroi qui s’emparent quelquefois des ambitieux dont la fortune a été trop rapide ; il résolut de se retirer de la scène.

Il aurait désiré que Shelburne fît partie du nouveau ministère comme secrétaire d’état chargé des sceaux ; mais Grenville, qui devenait chef de la nouvelle administration, objectait la jeunesse de Shelburne, son inexpérience, la date récente de son entrée à la chambre des lords, les susceptibilités des vieux pairs et l’imprudence qu’il y avait à les froisser quand une partie de la noblesse se préparait à faire une opposition ouverte. En apprenant ces difficultés, Shelburne se déclara prêt à s’effacer et à laisser occuper le terrain par des personnages plus autorisés. Bute ne s’avoua pas vaincu, et, imaginant de nouvelles combinaisons, il fit offrir à son protégé la présidence du Conseil du commerce. Cette place ne