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ni déroutes ne montrent quelles troupes combattent, quelle ville est assiégée, qui est victorieux, et qui prend la fuite. Ce sont des mêlées mouvementées et confuses, avec forêts de lances, têtes de chevaux qui se cabrent, croupes de chevaux qui reculent, guerriers écrasés, étreintes d’homme à homme, tournoiemens d’épées, de panaches et d’étendards. Pendant la première moitié du XVIIe siècle, le même style, la même ordonnance, ou à mieux dire la même absence d’ordonnance, la même insouciance de la vérité locale, restent à la mode parmi les peintres de batailles, en Italie comme dans les Flandres, en France comme en Hollande. Liberi, Tempesta, Cerquozzi, dit le Michel-Ange des batailles, Castelli, Anielo, Salvator Rosa, qui résume la manière de tous ces peintres dans son admirable bataille du Louvre, sont pleins de feu, de fougue, de mouvement, mais ils n’y atteignent que par la plus absolue confusion. On a surnommé Anielo « l’oracle des batailles. » Dans ses toiles pourtant, cet oracle ne fait jamais pressentir de quel côté se décidera la victoire. Faut-il parler ici de la Bataille d’Arbelles de Breughel de Velours ? Il serait peut-être plus facile de faire le fameux calcul des étoiles du ciel, des gouttes d’eau de la mer et des grains de sable du désert que de compter les innombrables figures de ce tableau. C’est une immense mêlée de cavalerie, s’étendant en masses confuses et serrées des premiers aux derniers plans, ainsi qu’un vaste champ de blé. Lorsqu’on est prévenu par le catalogue, on parvient, après avoir longtemps cherché, à découvrir, relégué au troisième plan, un petit Alexandre secourant la femme de Darius. Que nous sommes loin de la mosaïque antique ! La Bataille d’Arbelles, de Breughel, est d’ailleurs un ravissant tableau, animé, pittoresque, amusant, car la gamme des couleurs, trop vive et trop gaie pour un tel sujet, empêche de le prendre au sérieux. C’est un combat pour rire en dépit du sang qui coule des blessures et des cadavres qui jonchent la terre. On sent que la bataille finie, les plaies se fermeront d’elles-mêmes, les têtes décollées reprendront leur place, les bras coupés reviendront s’attacher aux épaules, comme après ces combats de La Walhalla, le paradis des héros Scandinaves. Dans les chocs de cavalerie, les assauts, les prises de ponts de Bourguignon, de Wouvermans, de Joseph Parrocel, le combat est encore compris selon le style du Vinci, dans son caractère générique. On ne saurait dire la fougue, le relief, l’effet de ces cavaliers qui lancés au galop sur leurs gros chevaux de guerre aux larges croupes blanches, se sabrent furieusement ou se tirent des pistolades en plein visage.

Charles Lebrun, ce peintre épique à qui il n’a manqué pour être un grand peintre que le génie de l’exécution, revint le premier à la méthode de composition de la Bataille de Constantin de Raphaël.