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On ne peut pas dire que le siècle qui a vu la mort de Charles XII, la vie tout entière de Frédéric II et la naissance de Napoléon ne soit pas un siècle guerrier. On compte à peine cependant trois ou quatre peintres de batailles au XVIIIe siècle. Il y a Martin, dit Martin des batailles, il y a Charles Parrocel, il y a François Casanova. Tous trois suivirent la tradition de Van der Meulen. Les premiers plans de leurs tableaux sont occupés par le roi ou le général commandant l’armée entouré de son état-major ; les fonds par des pièces en batterie, des troupes d’infanterie et de cavalerie marchant à l’attaque ou chargeant l’ennemi. En Italie, Simonelli peint des mêlées confuses et mouvementées à la Salvator Rosa.

La grande épopée de la république et du premier empire donne une vie nouvelle à la peinture de batailles. Swebach peint les batailles de Valmy, de Fleurus, de Jemmapes, exprimant avec une vive couleur l’élan, l’énergie et le désordre des armées improvisées de la convention : fusiliers pieds nus, canons traînés par des attelages de charrue, hussards Chamborand à la perruque poudrée, généraux empanachés, commissaires aux armées dans leur sévère costume. Carle Vernet fait de la Bataille de Marengo une vaste toile, plutôt panorama et carte stratégique que tableau, où l’on suit, livre et plan en main, tous les mouvemens des deux armées. Gros vient enfin porter à l’apogée la peinture de batailles. Nul mieux que Gros n’a su peindre la guerre dans ses grandeurs et dans ses horreurs. Quel mouvement, quel élan dans son Bonaparte au pont d’Arcole, dans son esquisse du Combat de Nazareth, dans ses tableaux de la Charge de la cavalerie à Aboukir et de la Bataille des Pyramides ! Quelle désolation, quelle morne tristesse dans son Champ de bataille d’Eylau le lendemain de la bataille ! Comme le peintre a bien su exprimer là les paroles que cette plaine de neige, couverte de milliers de cadavres, de blessés, de chevaux morts, de canons démontés, de maisons incendiées, avait arrachées à Napoléon : « ce spectacle est fait pour inspirer aux princes l’horreur de la guerre ! » Le style de Gros est à la fois typique et particulier. Gros généralise le sujet par la profonde impression que son tableau inspire ; il le particularise par l’expression de la vérité locale. Épique comme un poète, Gros a le tempérament naturaliste du peintre. De ce double don viennent l’effet et la grandeur de sa composition, l’énergie, le mouvement et le relief de ses figures. Déshabillez ces soldats, vous aurez des hommes. Sous ces tuniques, ces cuirasses et ces dolmans, il y a de la chair et des muscles.

Gérard est inférieur à Gros à tous les points de vue ; mais nous n’étudions ici les peintres de batailles que dans leur esthétique, nullement dans leurs qualités de peintre. Sa Bataille d’Austerlitz