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revue, c’est la grande revue des 18,000 cavaliers du prince Murat, passée par l’empereur dans les plaines d’Elbing quelques jours avant la reprise des opérations. « Cette masse énorme, dit l’historien de l’empire, avait tellement ébloui Napoléon, si habitué pourtant aux évolutions des grandes armées, qu’écrivant une heure après à ses ministres, il n’avait pu s’empêcher de leur vanter le beau spectacle qui venait de frapper sa vue. »

Il semble que dans l’œuvre de Meissonier deux tableaux de dimension différente, mais conçus d’après la même idée, se fassent pendant, se complètent, s’expliquent l’un par l’autre : le 1807 et le 1814. Le peintre a voulu résumer en deux pages plastiques toute l’épopée impériale ; 1807, c’est le nœud glorieux et éblouissant d’une action dont 1814 est le tragique dénoûment. En 1807, Napoléon a vaincu toutes les armées de l’Europe ; il a eu Austerlitz, il a eu Iéna, il a eu Eylau ; il tient sur les frontières mêmes de la Russie la dernière armée moscovite presqu’en son pouvoir, il va l’anéantir à Friedland, et six jours après cette bataille il signera la paix de Tilsitt. Jusque-là, pas un revers, pas un échec. Napoléon a parcouru sur un char triomphal une route radieuse de gloire, dont chaque étape a été une grande victoire. Ses soldats le saluent du titre d’empereur d’Occident ; pour plus d’un d’entre eux il est un dieu. Si en effet, au lendemain du traité de Tilsitt, Napoléon fût mort subitement par quelque cause inconnue, n’eût-on pas été en droit de voir en lui un de ces héros demi-dieux des âges légendaires enlevé dans l’Olympe au milieu des divinités ? Sa mort eût été une apothéose.

C’est l’apothéose humaine de Napoléon que M. Meissonier a voulu figurer dans le 1807, de même que dans le 1814 il avait symbolisé la chute du titan. Or, dans ce tableau exposé en 1867, il n’avait pas peint Napoléon au milieu d’une bataille désespérée ; non, il l’avait représenté chevauchant par quelque triste plaine de la Champagne, avec sa dernière armée en pleine retraite. Perdu dans de sombres pensées, la tête penchée, comme courbée par la fatalité, l’empereur, se laissant conduire par son cheval, les brides lâches, plutôt qu’il ne le conduit, passe au premier plan, suivi d’un état-major décimé, aux physionomies aussi mornes, aussi désespérées que la sienne même. Au second plan, dans la neige, sous un ciel gris et bas, chemine avec le froid au corps et le froid au cœur, une longue colonne d’infanterie, qui tient plus d’un troupeau que d’une armée. L’effet est sinistre, l’impression poignante. De même pour l’apothéose, M. Meissonier n’a pas peint la bataille, il a peint la veille de la bataille, qui est gagnée d’avance. Il a montré Napoléon voyant défiler devant lui les soldats enthousiastes de cette