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vêtus du dolman et de la pelisse rouges, chamarrés d’or, apparaissent au fond ; ce sont les aides-de-camp du major-général. Tous ces officiers ont la physionomie vivante et tranchée. Leurs divers uniformes s’harmonisent bien entre eux, les figures sont heureusement groupées de façon à encadrer et à faire ressortir celle de Napoléon. Il faut louer plus encore les quatre guides d’avant-garde. Là tout est accompli, il n’est rien à reprendre, la critique est muette. Solides à cheval, ne faisant qu’un avec leur monture, portant orgueilleusement leur bel uniforme : dolman et culotte vert foncé, pelisse rouge et épais kolback dont les poils retombent jusque sur les yeux, ces hommes ont une attitude aisée et martiale, une mine farouche et débonnaire. On voit qu’ils sont fiers d’être l’avant-garde de l’escorte impériale, de marcher devant leur empereur ! Le cheval de l’un d’eux, qui, vu en raccourci, de face, s’encapuchonné sous la main rigide de son cavalier, est vraiment admirable.

Les cuirassiers du premier plan sont loin d’atteindre à cette perfection. Il y a certes dans l’ensemble de ce groupe un grand effet de mouvement et de vie : chevaux et cavaliers sont bien dans l’action. Ils courent, ils volent, ceux-là cherchant à se gagner de vitesse, ceux-ci s’efforçant de maintenir leurs montures dans le rang. Il y a certes dans les détails une touche sans pareille, un relief inouï, une exactitude merveilleuse ; mais combien aussi il y a-t-il de fautes d’harmonie et de mesure ! Comme Géricault, qui eut toujours une furieuse passion pour les chevaux, qui au collège rêvait de remplacer Franconi, et, raconte un contemporain, s’attachait des barres de bois le long des genoux, en dedans, afin de se courber les jambes en arc à la façon des cavaliers, qui en 1814 s’engageait dans la cavalerie et qui plus tard se promenait chaque jour à cheval aux Champs-Elysées et au bois de Boulogne, Meissonier aime les chevaux à la folie, Il connaît le cheval à la fois en peintre, en professeur à l’École d’Alfort et en sportman. Il l’a étudié à l’écurie, à la promenade, aux courses, dans les revues et jusque sur les champs de bataille. Peut-être est-ce cette passion des chevaux qui a nui à Meissonier pour peindre les chevaux des cuirassiers. Il semble qu’il se soit trop complu dans cette partie de son travail. Il a trop caressé, trop lustré de son pinceau ces croupes, ces avant-trains et ces encolures. Il ne s’est jamais résolu à les abandonner. Il a voulu aller au-delà de la perfection, tout montrer, tout accuser, ne laisser aucun muscle au repos, aucune veine sous le poil. C’est ainsi qu’il est arrivé à donner à ces chevaux l’apparence d’écorchés. Trop de muscles, trop de veines, trop de surfaces luisantes. « Un trop grand soin nuit souvent, » aimait à dire Apelles. Cette maxime s’applique à merveille aux chevaux de Meissonier. Un cheval lancé au galop ne saurait être peint