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envolées et la félicité présente et les promesses de bonheur dont s’enivraient les îles impériales.

« La femme du laboureur enfante sans péril de mort, et toi qui étais si heureuse, si adorée ! ceux qui ne pleurent pas pour les rois auront pour toi des larmes, et la liberté, dont le cœur est gros de tant de souffrances, les oubliera toutes pour n’en ressentir qu’une seule, car elle a prié pour toi et sur ta tête elle voyait luire son arc-en-ciel. — Et toi aussi, prince solitaire, époux désolé ! ton hymen devait donc être inutile, mari d’une année, père d’un mort !

« Un cilice fut ton vêtement de noce, le fruit de ton hymen n’est que cendres ; dans la poussière est couchée la blonde héritière du trône de ces îles, celle que chérissaient des millions de cœurs ! Comme nous lui avons confié tout notre avenir ! Bien que nous ne fussions pas destinés à voir ces heures radieuses, nous aimions à penser que nos enfans obéiraient à son enfant, et nous la bénissions, elle et la postérité que nous espérions d’elle. Cette promesse était pour nous ce qu’est l’étoile aux yeux du berger. Ce n’a été qu’un rapide météore.

« Pleurons sur nous, et non sur elle, car elle dort en paix…[1]. »


Ainsi parlait lord Byron, interprète de la douleur de tous, douleur profonde où se mêlaient tant de ressentimens et d’appréhensions patriotiques. Ces choses sont fort inconnues aujourd’hui. Les générations passent, les intérêts se déplacent. On ne pense plus à la princesse Charlotte, parce qu’une autre princesse, la fille d’un autre fils de George III, née deux ans après la mort de sa cousine, est venue concentrer sur sa tête toutes les espérances de la nation anglaise, et, plus heureuse, a eu le temps de les justifier. C’est la reine Victoria qui a effacé le souvenir de la princesse Charlotte… Mais vous qui la faites oublier, le monde sait que vous ne l’oubliez pas. Vous vous entourez de ses reliques, sa correspondance est dans vos mains, et n’est-ce pas pour vous que le prince Léopold, devenu roi d’un autre pays, a retracé l’image de ses Années de jeunesse ?

C’est qu’en face de ce cercueil il est difficile à un esprit méditatif de ne pas se laisser aller aux pentes de la rêverie. Comment ne pas songer à tout ce que cette mort prématurée a entraîné de conséquences ? Il ne s’agit pas seulement de la princesse Charlotte. Que de choses eussent été changées dans l’histoire du XIXe siècle, si la fille du régent et de la princesse de Galles n’eût été emportée avec son fils dans la nuit du 5 novembre 1817 ! Supposez, comme il est si naturel de le faire, que le cours régulier de sa vie n’ait subi

  1. Byron, Childe Harold’s Pilgrimage. Voyez le quatrième chant, de la strophe 167 à la strophe 173.