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moyennement en dix ans, l’entretien et la réparation des divers engins, le charbon et la solde des mécaniciens, tout cela constitue de gros frais, dont le remboursement exige que l’appareil ne chôme guère dans l’année. C’est un fait acquis qu’un tel outillage ne paie ce qu’il coûte que s’il s’applique au moins à la culture de 500 hectares de terres. D’aussi vastes champs cultivés sont rares dans une même exploitation en France. Ce mode de culture ne saurait donc s’y généraliser qu’au moyen d’associations entre des propriétaires d’une même contrée ou au moyen d’entrepreneurs de labours, comme il en existe de l’autre côté du détroit.

Cet essai d’association et d’entreprise a été fait dans nos départemens de l’est, mais sans grand succès. On a vite reconnu que ces puissantes locomobiles, qui se changent en machines routières pour les déplacemens, se détérioraient très vite par suite des trépidations résultant de la marche sur les chemins mal empierrés. La clientèle d’un appareil à vapeur doit donc être étendue, et pourtant il la faut concentrée sur un étroit espace. Les champs eux-mêmes ne conviennent pas quand ils sont trop petits. Une parcelle mesurera au moins 3 hectares pour qu’elle vaille la peine que l’on y installe de lourds engins, peu commodes à remuer, surtout par les mauvais chemins. De plus les champs obstrués par des racines d’arbres ou des blocs de rochers nécessitent au préalable un coûteux défonçage opéré à bras ; il faut les dégager de ces écueils cachés qui provoqueraient de ruineuses ruptures dans l’appareil. Quant aux terrains de montagne, quelle que soit leur qualité, ils resteront toujours hors la loi de la culture à vapeur.

Voilà de bien nombreuses réserves ; elles expliquent comment le labourage à vapeur s’est moins répandu en France qu’en Angleterre, où un ciel moins clément impose une plus grande promptitude dans les travaux agricoles, tandis que le sol moins morcelé et plus assoupli par la culture s’y prête mieux à la manœuvre de ces puissans engins. En outre une plus grande rareté de la main-d’œuvre agricole y rend l’application de ces rapides machines plus nécessaire que chez nous.

Le premier agriculteur qui ait employé en France la culture à vapeur d’une façon continue est, je crois, M. Decauville, fermier de l’importante terre de Petit-Bourg, près de Paris. Il était presque le seul à en faire usage quand survinrent la guerre et l’invasion, nous assaillant en pleine sécurité de paix, avec l’incendie et la destruction pour sombre cortège. Privés de tous leurs attelages, quelques fermiers des environs de Paris ont alors songé à faire venir d’Angleterre des appareils qui leur ont été très utiles pour remettre leurs champs en culture, après le départ de l’ennemi ; mais leur exemple a fait peu de prosélytes. Pourtant ce mode de culture semblerait devoir s’appliquer judicieusement sur les fertiles plaines qui entourent la plupart de nos grands centres de