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par ces deux hommes, laquelle vaut mieux de la rhétorique correcte et savante qu’on pratique à Venise, ou de l’emphatique, grandiose et chaude incorrection du parler d’Anvers ? A Venise, on penche pour Véronèse ; en Flandre, on entend mieux Rubens.

L’art italien a cela de commun avec tous les arts fortement constitués, qu’il est à la fois très cosmopolite parce qu’il est allé partout, et très altier parce qu’il s’est suffi. Il est chez lui dans toute l’Europe, excepté dans deux pays : la Belgique, dont il a sensiblement imprégné l’esprit, sans jamais le soumettre, et qu’il a fortement cultivée, sans y prendre racine, la Hollande, qui jadis a fait semblant de le consulter, et qui finalement s’est passée de lui, en sorte que, s’il vit en bon voisinage avec l’Espagne, s’il règne en France, où, dans la peinture historique du moins, nos meilleurs peintres ont été des Romains, il rencontre ici deux ou trois hommes, très grands, très forts, de haute race et de race indigène, qui tiennent l’empire et entendent bien ne le partager avec personne.

L’histoire des rapports de ces deux pays, Italie et Flandre, est fort curieuse : elle est longue, elle est diffuse ; ailleurs on s’y perdrait ; ici, je vous l’ai dit, on la lit couramment. Elle commence à Van-Eyck et se termine le jour où Rubens quitta Gênes et revint, rapportant enfin dans ses bagages la fine fleur des leçons italiennes, à vrai dire, tout ce que l’art de son pays pouvait en extraire d’utilisable et tout ce que raisonnablement il en pouvait supporter. Cette histoire du XVe et du XVIe siècle flamand forme la partie moyenne et le fonds vraiment original de ce musée.

On entre par le XIVe siècle, on finit avec la première moitié du XVIIe siècle. Aux deux extrémités de ce brillant parcours, on est saisi par le même phénomène, assez rare en un si petit pays : un art qui naît sur place et de lui-même, un art qui renaît quand on le croyait mort. On reconnaît Van-Eyck dans une très belle Adoration des Mages, on entrevoit Memling dans de fins portraits, et là-bas, tout au bout, à cent cinquante ans de distance, on aperçoit Rubens. Chaque fois c’est vraiment un soleil qui se lève, puis qui se couche avec la splendeur, et la brièveté d’un très beau jour, sans lendemain.

Tant que Van-Eyck est sur l’horizon, il y a des lueurs qui vont jusqu’aux confins du monde moderne, et c’est à ces lueurs que le monde moderne a l’air de s’éveiller, qu’il se reconnaît et qu’il s’éclaire. L’Italie en est avertie et vient à Bruges. C’est ainsi, par une visite d’ouvriers curieux de savoir comment ils devaient s’y prendre pour bien peindre, avec éclat, avec consistance, avec aisance, avec durée, que commencent entre les deux peuples des allées et venues qui devaient changer de caractère et de but, mais ne pas cesser. Van-Eyck n’est point seul ; autour de lui, les œuvres