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souvenir de ces luttes, l’un des personnages les plus considérables de l’Allemagne. Pendant un séjour à Ems, le prince s’était souvent entretenu avec M. de Stein de sa candidature au trône de Grèce. Quand le protocole du 3 février 1830, qui offrait le trône au prince, fut connu en Allemagne, M. de Stein lui avait adressé une longue lettre, ou plutôt un long mémoire sur la manière de concevoir sa mission. Ce mémoire, il est vrai, pieusement publié par M. Pertz dans sa biographie du baron, renferme plus de mots sonores que d’idées fécondes. On y trouve surtout la haine de la France, une haine à la fois implacable et sénile. « C’est pour la gloire de l’Allemagne que la Providence envoie Léopold en Grèce, c’est la civilisation allemande qu’il est chargé d’implanter à Athènes, il faut que l’éducation y soit allemande, — et l’armée ? allemande, — et l’administration ? allemande. » Évidemment, tout cela sent le radotage. Il est clair toutefois que Léopold, salué par M. de Stein comme un missionnaire de Dieu, du dieu de l’Allemagne, chez les peuples helléniques, ne pouvait se dispenser de lui écrire qu’il avait décliné cette mission. Sa lettre est grave et digne, il expose simplement les motifs que nous connaissons déjà, motifs d’honneur, de conscience, d’humanité vraie, de vrai libéralisme. Savez-vous comment lui répond le baron de Stein ? Par une missive tour à tour emphatique et impertinente.

Il commence solennellement : « En 1812, lorsque l’empereur Alexandre engagea la lutte contre Napoléon, il prit pour devise : confiance en Dieu, courage, persévérance, union, puis, les yeux constamment et résolument tournés vers le ciel, il s’abandonna aux inspirations de son cœur magnanime et renversa le géant. » Étrange fanfare, en vérité ; il s’agit bien de l’empereur Alexandre et du géant ! L’orgueilleux baron continue avec la même emphase : « La raison humaine peut deviner la marche prochaine des événemens, elle ne saurait percer les ténèbres d’un avenir éloigné. Le vrai guide alors, c’est le sentiment du devoir, la confiance en Dieu, le renoncement à tout intérêt personnel. » C’est exactement comme s’il disait : il fallait prendre exemple sur nous ; l’empereur Alexandre et moi, voilà les grands modèles. Il ajoute, il est vrai, d’un ton plus simple : « La situation de la Grèce sera-t-elle améliorée par la retraite de votre altesse royale ? Avec du sérieux et de la persévérance, ne pouvait-on pas espérer, soit à présent même, soit dans un avenir prochain, l’extension des frontières ? Et, en attendant cette heure, l’entière sécurité de la Grèce n’était-elle pas assurée par la garantie des trois puissances ? » Ce refus du prince en de telles conditions paraît tellement inexplicable au baron de Stein qu’il n’hésite pas à lui lancer l’accusation injurieuse réservée jusque-là aux